Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, Correspondance (1902 — 1913)

Rencontre au som­met de deux arts

À par­tir de 1900, avec le suc­cès de son expo­si­tion de l’Alma, Rodin com­mence à rece­voir beau­coup de visi­teurs à Meu­don. Parmi eux, Rai­ner Maria Rilke un de ses plus grands admi­ra­teurs. Mais les deux ne se ren­contrent pas l’année de l’exposition. Deux ans plu tard, Rilke reçoit la com­mande d’une mono­gra­phie consa­crée à l’artiste. Et le 1er sep­tembre les deux hommes se retrouvent dans l’atelier de l’artiste 182, rue de l’Université à Paris.
Le poète per­çoit l’artiste comme un homme très doux, à la conver­sa­tion agréable et retourne le voir. « J’ai le besoin de vous dire mes recon­nais­sances pour toutes les heures de bon­heur que vous m’avez don­nées pen­dant les deux mois que je suis à Paris » écrit-il à Rodin âgé qui éprouve de l’intérêt pour le poète, et pas seule­ment parce que celui-ci doit écrire un livre à son sujet. Tous deux par­tagent le goût des voyages et l’Italie, et une pas­sion pour l’art du passé, en par­ti­cu­lier Michel-Ange.

Rilke devient un habi­tué de Meu­don, où il se rend quo­ti­dien­ne­ment et tra­vaille à son livre. L’ouvrage est un hymne au génie de Rodin. Et la cor­res­pon­dance enfonce ce clou d’amitié. Le sculp­teur raconte sa pas­sion pour Dante et Bau­de­laire, les débuts au ser­vice d’autres sculp­teurs, et les dif­fi­cul­tés ren­con­trées pour accé­der à une juste recon­nais­sance de son talent. Rilke parle avec pas­sion des séances de tra­vail aux­quelles il a assisté, et de la manière d’aborder le modèle de Rodin.
Le poète est mani­fes­te­ment tou­ché par le pathos vibrant qui anime les figures puis­sam­ment mode­lées par le sculp­teur. À celui qu’il nomme « Mon Maître », l’auteur pré­cise : « J’ai déjà une fois essayé de vous dire, que votre œuvre et votre exemple héroïque pour ma femme et pour moi-même sera tou­jours l’événement le plus impor­tant de notre jeu­nesse et le sou­ve­nir que nous gar­de­rons comme un héri­tage sacré pour notre enfant, et pour des jeunes gens, qui ne savent pas leur che­min et qui nous le demanderont. »

Demeurent - via les lettres - un contact de Rilke envers le créa­teur et une œuvre qui lui est deve­nue une « com­mu­nion de laquelle je reviens jeune et juste, éclairé de l’intérieur par l’hostie de sa beauté ». Le poète devient pen­dant quelques mois le secré­taire de celui qui était «un ouvrier qui ne dési­rait pas autre chose que d’entrer tout entier dans l’existence basse et dure de son ins­tru­ment». Et sa place auprès du sculp­teur, pour un temps, apaisa son errance.
Deux arts si dif­fé­rents se ren­con­trèrent dans ces lettres où ils s’éclairent l’un l’autre. Ce croi­se­ment per­met de voir la sculp­ture par la voix du poète, et sa langue par l’œuvre du plasticien.

jean-paul gavard-perret

Rai­ner Maria Rilke, Auguste Rodin, Cor­res­pon­dance (1902 — 1913), Edi­tions d’Hugo Hengl, coll. Art et Artiste, Gal­li­mard, 2018.

Leave a Comment

Filed under Arts croisés / L'Oeil du litteraire.com, Beaux livres

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>