Rencontre au sommet de deux arts
À partir de 1900, avec le succès de son exposition de l’Alma, Rodin commence à recevoir beaucoup de visiteurs à Meudon. Parmi eux, Rainer Maria Rilke un de ses plus grands admirateurs. Mais les deux ne se rencontrent pas l’année de l’exposition. Deux ans plu tard, Rilke reçoit la commande d’une monographie consacrée à l’artiste. Et le 1er septembre les deux hommes se retrouvent dans l’atelier de l’artiste 182, rue de l’Université à Paris.
Le poète perçoit l’artiste comme un homme très doux, à la conversation agréable et retourne le voir. « J’ai le besoin de vous dire mes reconnaissances pour toutes les heures de bonheur que vous m’avez données pendant les deux mois que je suis à Paris » écrit-il à Rodin âgé qui éprouve de l’intérêt pour le poète, et pas seulement parce que celui-ci doit écrire un livre à son sujet. Tous deux partagent le goût des voyages et l’Italie, et une passion pour l’art du passé, en particulier Michel-Ange.
Rilke devient un habitué de Meudon, où il se rend quotidiennement et travaille à son livre. L’ouvrage est un hymne au génie de Rodin. Et la correspondance enfonce ce clou d’amitié. Le sculpteur raconte sa passion pour Dante et Baudelaire, les débuts au service d’autres sculpteurs, et les difficultés rencontrées pour accéder à une juste reconnaissance de son talent. Rilke parle avec passion des séances de travail auxquelles il a assisté, et de la manière d’aborder le modèle de Rodin.
Le poète est manifestement touché par le pathos vibrant qui anime les figures puissamment modelées par le sculpteur. À celui qu’il nomme « Mon Maître », l’auteur précise : « J’ai déjà une fois essayé de vous dire, que votre œuvre et votre exemple héroïque pour ma femme et pour moi-même sera toujours l’événement le plus important de notre jeunesse et le souvenir que nous garderons comme un héritage sacré pour notre enfant, et pour des jeunes gens, qui ne savent pas leur chemin et qui nous le demanderont. »
Demeurent - via les lettres - un contact de Rilke envers le créateur et une œuvre qui lui est devenue une « communion de laquelle je reviens jeune et juste, éclairé de l’intérieur par l’hostie de sa beauté ». Le poète devient pendant quelques mois le secrétaire de celui qui était «un ouvrier qui ne désirait pas autre chose que d’entrer tout entier dans l’existence basse et dure de son instrument». Et sa place auprès du sculpteur, pour un temps, apaisa son errance.
Deux arts si différents se rencontrèrent dans ces lettres où ils s’éclairent l’un l’autre. Ce croisement permet de voir la sculpture par la voix du poète, et sa langue par l’œuvre du plasticien.
jean-paul gavard-perret
Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, Correspondance (1902 — 1913), Editions d’Hugo Hengl, coll. Art et Artiste, Gallimard, 2018.