Un (bd)Space Opera qui vaut largement le détour !
Née en 1975, la série du “Vagabond des limbes”, scénarisée par Christian Godard et dessinée par Julio Ribera, met en scène les aventures d’Axle Munshine, ex-Grand Conciliateur de la Guilde, devenu renégat pour avoir transgressé la treizième commandement : « La porte du sommeil jamais ne franchira ».
L’intégrale des exploits du Vagabond vient de débuter chez les éditions Dargaud, avec la publication de “Vers l’Etoile impossible », un premier tome conséquent des trois premières aventures fantastiques d’Axle : “Le vagabond des limbes”, “Les empires du soleil noir” et “Les charognards du cosmos”. Grand classique de la bande dessinée de science-fiction, Le Vagabond de des limbes est un Space Opera qui vaut largement le détour, tant par la qualité des scenarii abordés, par la charte graphique très seventies qui le caractérisent que par les références aux recherches scientifiques de pointe qui émaillent chaque album, fruit des investigations fort documentées de Godard.
Qu’on n’en conclue pas trop rapidement que la série s’est démodée au fil du temps et que les soucis de Munshine ne sauraient intéresser nos contemporains à l’orée du XXI siècle. Car la force de cette épopée tient précisément en ce que, en son temps comme aujourd’hui, elle a toujours su « anticiper » et proposer des réflexions bien au delà de l’époque qui les conditionnait. La trame pourtant est des plus simple : obsédé par un rêve qui le hante — l’image d’une femme très belle, Chimeer — l’aventurier Axle Munshine parcourt les galaxies à bord de son Vaisseau d’Argent aux ressources inépuisables, accompagné par le jeune Musky, prince des Eternautes. Il n’a de cesse que de vouloir la trouver quelque part dans les limbes et passe une grande partie de son temps à rêver pour l’apercevoir…
Le vagabond des limbes
Les personnages principaux de l’histoire nous sont présentés dans le premier album de la série. Axle Munshine est ” Le Grand réconciliateur “, qui voyage dans toutes les galaxies pour faire régner la paix. De retour chez lui sur la planète de Xylos, alors que le siège de gouverneur l’attend, il perd son titre auprès de La Guilde qui règne sur l’Univers pour avoir transgressé le treizième commandement : LES PORTES DU SOMMEIL JAMAIS NE FRANCHIRA. En effet, avec l’aide de ses fidèles compagnons, Matt Gamone, Roll-le-joyeux, Jamy-toujours-là et les autres, Axle a conçu sur la planète déserte où il habite, Terracotta, une machine, le TRANSLATOR, qui permet de transcrire les rêves du dormeur sous formes holographiques et de les enregistrer afin de les visionner à son réveil. Or, pour des raisons qui restent mystérieuses, la Guilde interdit formellement que quiconque interroge ses songes. Trahi par le chef de la garde pourpre de la Guilde, Magh-Oz, qui brigue sa place, Axle a juste le temps, lors du premier essai du Translator, d’avoir une vision qui l’amènera, devenu un proscrit, à errer aux confins de l’univers.
A partir de la page 20, ce tome 1 conquiert tous ses lecteurs : tant Terraccota habitée par des monstres sympathiques, par des hommes-robots (les « humanos » qui sont les seuls compagnons d’Axle), que les réparties humoristiques incessantes entre Munshine et Musky — le jeune garçon a 13 ans depuis plusieurs siècle et refuse pour l’instant de grandir, c’est-à-dire devenir un adulte de 30 ans comme Axle — achèvent d’emporter l’adhésion, sur fond de machine à interpréter les rêves et d’arrières-plans tout en teintes jaune citron, sépia et rose acidulé.
Avec des incrustations style phosphorescences ou en noir et blanc qui cassent le code chromatique habituel. Sans doute la lecture par Chimeer, alors que Munshine la découvre pour la première fois adossée à un arbre en train de lire.… ce premier volume du Vagabond des Limbes que le lecteur a lui-même sous les yeux est-elle pour beaucoup dans l’aura qui a été conférée à cette saga à la structure circulaire. Persuadé qu’il existe une « porte » qui mène au monde où l’attend Chimeer, Axle entame des pérégrinations qui vont lui faire découvrir bien des tréfonds de galaxies qu’il ignorait jusqu’ici.
On est là bien loin des dernières productions BD sur papier glacé où les couleurs directes, l’aérographe et la colorisation informatisée dépassent chaque jour les limites du réalisme, mais “Le Vagabond des Limbes” propose autre chose : la tranquille certitude que la magie ne disparaît jamais vraiment, que l’amitié et l’amour sont plus forts que la soif de pouvoir et le matérialisme à tout-va.
L’empire des soleils noirs
Venu consulter dans les bas-fonds de Gowrâm les prédictions d’une Lingalilith (créature à même de se transformer en celui ou celle qu’aime l’individu qui l’approche), Axle parvient à échapper de justesse aux soldats lancés à ses trousses. Pourchassé par la garde Pourpre, Axle et Musky se retrouvent dans une impasse, poursuivi par le seul vaisseau capable de rivaliser avec les prouesses technique du Dauphin d’Argent : le Dauphin d’ Or ! Les deux bâtiment disposant des mêmes moyens de défense, des mêmes puissances de destruction, Axle et Musky ne peuvent espérer aller nulle part où ne les suive pas le Dauphin d’Or.
Devant la seule solution qu’il leur reste : demeurer cloîtrés dans le « cercueil d’acier » de leur navire interstellaire, l’ex-Conciliateur de la Guilde, qui voit des portes partout où apparemment il n’y en a pas, refuse de capituler et engage le Dauphin d’Argent dans un trou noir. Et les deux amis se retrouvent sur une planète qu’illumine un soleil noir et où les êtres, qui communiquent par télépathie, sont programmés pour accomplir le « mémodestin » qui figure dans l’ordinateur du Grand Prophète, que secondent des escouades d’anges (exterminateurs) en charge de faire respecter ce qui a été fixé une fois pour toutes.
A peine arrivés, Musky et Axle se font remarquer par leur opposition à la loi qui règne dans cette contrée : « Ce qui n’est pas prévu n’existe pas ». Cette fois, c’est sûr : Axle, même si son étoile de grand Conciliateur s’est éteinte depuis la fuite de Xylos, est bien, malgré lui, une sorte de gendarme interplanétaire. Où qu’il se rendre, sa quête de Chimeer ne fait pas de lui, malgré le nom de celle qu’il recherche, un utopiste mais un garant de l’ordre moral. Que Musky « le petit clown » sait rappeler à la réalité lorsque le beau ténébreux se laisse happer par le pays des songes.
En deux albums, Christian Godard a inventé un chevalier des temps futurs toujours à cheval entre le réel et le virtuel, l’onirique et l’empirique. Un idéal contretype pour accuser les dangers et dérives possibles de notre société en train de céder aux charmes démoniaques des nouvelles technologies…
Les charognards du cosmos
Suite à la découverte d’une petite planète isolée, censément inhabitée, qu’aucune carte ne mentionne, Musky entraîne Axle à la chasse au cochon noir. Mais une bande de malfrats, commandés par ’Ma-Supernovae, les capture pour revendre leurs corps. Les proscrits font le commerce des corps vivants ou des cadavres pour le compte de l’Eglise-Clinique HORLA, spécialisée dans la réincarnation. Ceux qui le désirent, moyennant un forte somme, peuvent aller sur cette planète pour se refaire une jeunesse en s’appropriant le corps d’un autre.
Mais Baquî-le-Bateleur, à la tête de Horla, voit d’un mauvais oeil l’emprisonnement du prince des Eternautes, soucieux que la proie de ‘Ma-Supernova ne lui attire des ennuis. Il élimine les mercenaires puis, sur les conseils de sa maîtresse Alabion, tente un subterfuge pour faire main basse sur le Dauphin d’Argent, réputé pour être programmé afin de laisser entrer dans son habitacle les seuls corps de Munshine et Musky : grâce à la technique propre à Horla, Alabion sera donc transférée dans l’enveloppe organique de l’enfant, et Baqî dans celie d’Axle, pendant que le contenu du cerveau des deux héros est stocké dans une banque de données !
Las pour les imposteurs, l’image « chimeerique » qui hante Axle depuis Le Vagabond des Limbes a résisté à la réduction scientifique opérée par les machines de Horla et Baqî est éjecté du vaisseau car il ne comprend pas ce que signifie ce nom qui le harcèle. A son tour habité par Chimeer, Baqî décide de revenir sur Horla , de rendre son corps et ses esprits à Munshine pour savoir lui aussi qui est cette Chimeer exerçant une telle résistance aux ordinateurs de ses savants…
Poète invétéré, Godard affirme ainsi la toute-puissance du souvenir sur la technocratie et les avancées d’un Hyden de Gôteborg en matière d’investigations neuronales. Tous les aficionados de la série connaissent par coeur les mythiques pages 125–126 de ce troisième volet du Vagabond car c’est en déshabillant Musky qu’Alabion révèle au lecteur, Axle endormi ne peut en avoir conscience, que le « morveux » aux vêtements de guêpe s’est transformé au contact de Munshine qu’il aime, en une jeune femme. Peut-être Chimeer est-elle plus près d’Axle qu’il ne le croit, ce qui l’empêche de la voir…
Voilà une lecture revigorante en ces temps de mimétisme BD prophylactique, dont on ressort groggy par tant de simplicité et de finesse. De talent indémodable et de clairvoyance intemporelle. Que les néophytes qui avaient manqué ce train du cosmos la première fois ou les connaisseurs qui désirent refaire un tour pour le plaisir, se rassurent : le rythme de production intensif de l’Intégrale prévoit déjà au moins sept albums à venir. Il y en aura pour tout le monde, et c’est tant mieux !
Lire la critique des tomes 4, 5 et 6 de L’Intégrale
frederic grolleau
Godard et Ribera, Le Vagabond des Limbes, L’intégrale tome 1 : “Vers l’Etoile impossible”, Dargaud, 2002, 138 p. — 15, 00 €. |