Nosgrey est la capitale du royaume de Flyne Yord, une cité qui se délabre dans un domaine qui périclite. Grenoye, un jeune homme y vit avec sa mère. Comme les vivres manquent il s’aventure dans les marais. Menacé par un serpent, il tombe dans l’eau et rencontre un être mythique, à la fois femme et serpent, dont il tombe follement amoureux. En rentrant avec quelques provisions il se fait voler sa gibecière par un chien affamé qui fuit vers les bas-quartiers. Là, pris à parti par un trio de voyous, il est sauvé par l’intervention d’une étrange femme. Obsédé par sa rencontre, il retourne sans cesse dans les marais avec le fol espoir de revoir cette Vouivre.
Treize hivers plus tard, sa mère meurt. Il est dépossédé du peu de biens qu’elle avait et se retrouve dans les bas-fonds. C’est Edith, qui s’intéresse à lui depuis l’enfance, qui l’en sort. Ils se marient. Or, il ne pense qu’à la créature des marais et la situation bascule quand…
Jérémy s’est fait connaître avec la mise en couleurs des planches de Philippe Delaby, le talentueux dessinateur de Murena, de La Complainte des landes perdues. Suite au décès brutal de son maître, il a fini l’album en cours. Il a dessiné six tomes de Barracuda pour Jean Dufaux et a commencé les Chevaliers d’Héliopolis avec Alejandro Jodorowsky.
Avec Layla, il signe son premier scénario, une histoire forte, puissante qui puise ses racines dans une légende de Franche-Comté. C’est ainsi qu’il donne vie à la Vouivre, cette femme-serpent à l’irréelle beauté que Marcel Aymé avait déjà mis en scène dans un roman paru en 1943. Cette femme possède une escarboucle, un fabuleux bijou qui attire tous ceux qui le voient. Avec ce personnage de légende Jérémy a choisi de fusionner la femme et le serpent alors que chez Marcel Aymé celle-ci est une sauvageonne protégée par des vipères dès lors qu’on tente de lui voler son bijou. Si sa beauté est prodigieuse, les hommes sont surtout attirés par le bijou qu’elle porte.
La parabole est belle, mettant en avant l’idée que l’homme préfère la richesse à une belle compagne. De plus, la légende associe et mêle la femme et le serpent, inspiré sans doute par ce fameux passage de la Genèse où Ève… Jérémy intègre nombre de sentiments entremêlant dans la quête du héros l’amour, la mort, le désir, le rêve, le pouvoir, la conquête, les pulsions humaines que sous-tend la vie. Il dresse parallèlement le portrait d’une femme libre, libre dans son corps, libre de sa vie qu’elle mène selon ses désirs.
C’est Mika qui assure le dessin, un graphisme réaliste, vigoureux, dynamique, illustrant, avec la même aisance, des scènes intimistes révélatrices de sentiments et des scènes plus larges de foule, d’actions violentes, de combats, et des décors qui retiennent l’attention.
Ce conte qui emprunte à la grande aventure, à la fantasy, au merveilleux, avec sa galerie de personnages emblématiques, est une belle réussite tant scénaristique que graphique. Un pur régal !
serge perraud
Jérémy (scénario), Mika (dessin), Hamo, Alexandre Boucq & Mika (couleurs), Layla, conte des marais écarlates, Dargaud, septembre 2018, 96 p. – 16,50 €.