James Baldwin dans ses « essais » critiques met en évidence les films qui l’ont marqué tant et d’abord au niveau de leur fantasmagorie que – plus tard – de leur charge politique. Il rappelle aussi comment les films – écrits et tournés uniquement par les blancs – répondent entre autres au profond désir chez ceux-ci de n’être pas jugé par ceux qui sont de couleur différente. Mais, souligne l’auteur, en même temps une grande proportion de l’angoisse des blancs trouve son vrai jour dans la tyrannie du miroir et de l’écran. D’où les jeux complexes du cinéma américain d’une époque néanmoins encore trop frileuse pour avoir le courage d’admettre que de tels psychés sont menteuses et ne répondaient qu’à des codes « d’un infantile sens américain ».
Toutefois, les films les plus discutables propres à générer une aliénation programmée répondent aussi à des fantasmes où jaillissent le sexe, le crime, l’amour, les craintes, les aspirations personnelles. Baldwin enfant les projetait sur les héros blancs. Il devenait blanc lui-même en épousant les affres des perdants comme des héros magnifiques.
L’auteur adoptait des systèmes de pensée qui lui permettaient de supporter des contradictions politiques, et des aridités spirituelles. Il lui sembla ainsi que les blancs avaient des droits de leçon de morale dans l’art de vivre des noirs. Et il lui fallut du temps pour sortir de cette confusion, de comprendre le pouvoir politique du cinéma et d’accepter que les paroles de Malcolm X valait plus que celles du sénateur Byrd. La critique du cinéma que propose l’auteur est donc une manière de détruire les fondements d’Hollywood et son pouvoir. Il montre comment ce cinéma arrache fragments par fragments la personnalité, l’individualité du noir sauf à le caricaturer dans le « bon » noir qui acquiert rarement une réalité sur sa vie et sur lui-même.
Baldwin a su monter à l’assaut de la forteresse cinématographique de la primauté blanche et monter à ses frères ce que cachait cette machine à décerveler. Il prouve qu’à l’époque « l’optique américaine est la montagne de la suprématie blanche ». Certes, aujourd’hui Hollywood a changé mais c’est toujours sur cette vieille vague du “white is beautiful” qu’une esthétique avance pour fabriquer des images codées sur le monde.
jean-paul gavard-perret
James Baldwin, Le diable trouve à faire, Capricci, Paris, 2018.