Filaments noirs dans la nuit indulgente
Guyotat, une fois de plus, fait retour sur son passé. Ici lors de son arrivée à Paris au début des années 60 puis son retour de la guerre d’Algérie dans le même lieu. Jaillit le souffle du monde de celui qui a échappé aux mutilations de la guerre, qui est sorti sain et sauf de la horde des ébouillantés vifs, des disparus mais revient humilié pour retrouver la vie.
Ce n’est certes pas Progénitures (livre exceptionnel). L’auteur retourne à une biographie plus sobre (quoi que…) entamée avec Comas au sein d’une langue normative. En désordre biographique, Guyotat décrit ici sa fugue et sa guerre où il finit arrêté car ses écrits (publiés déjà au Seuil) l’incriminaient.
Le corps imprime une fois de plus le livre de celui qui est hanté par la guerre. L’écoulement du livre charrie la saleté, la misère, le sang de cet anachorète qui se nourrit d’huile et de pain. Il y a là le bruit et la fureur dans l’ivresse et la sidération d’un flux radical et poétique à la force extrême là. La littérature atteint une sorte de pureté par le sens de la scission au sein même du voyeurisme.
Dans un tel roman, l’écriture sans trace de convention est l’initiation au silence de l’homme comme affolé par la futilité des mots mais pourtant qu’il domine. A partir des phrases inscrites avec ténacité, il conduit avec puissance une langue qui n’en a jamais fini de ressasser les mêmes questions avec les mêmes mots.
Mais ici les filaments noirs sortent des idées confuses comme de la peur hagarde. Ils espèrent pouvoir dire ce que l’auteur n’espérait pas – ou plus. Ce qui persiste tient tête à la vie par ce qui s’inscrit et s’érige non en vue de l’ultime clôture mais pour créer des courants d’air qu’il faudrait endiguer afin que l’homme ne se perde plus dans la peur.
Le livre devient une nuit indulgente — parfaitement tendre et féminine. Guyotat y renoue avec le fascinant, le furtif pacte original du fruit et de la nuit du même nom. Avant que ce soit la terre, le ciel se renverse sur l’auteur aux prises avec des forces inconscientes.
Que lui reste-t-il d’autre à faire que de vivre par-devers la ruine dans l’attente de la joie que donne le livre ? Il accompagne sur la pente du retour d’Algérie une vraie poésie dans laquelle l’auteur n’oublie pas les grillons tapageurs qui lui sauront gré de cette force laissée au hasard.
Plutôt que de vivre recroquevillé, Guyotat vit pour garder quelque chose d’une minute fraternelle par-delà les doutes et la contradiction. Son texte, dans sa traversée du temps, est l’espace d’un pur instant.
jean-paul gavard-perret
Pierre Guyotat, Idiotie, Grasset, Paris, 2018, 256 p. — 19,00 €.
Parfaite analyse de JPGP inspiré par ” Idiotie ” , la tragédie , l’Algérie et la poésie du grand écrivain Guyotat .