Pierre Guyotat, Idiotie — Rentrée 2018

Fila­ments noirs dans la nuit indulgente

Guyo­tat, une fois de plus, fait retour sur son passé. Ici lors de son arri­vée à Paris au début des années 60 puis son retour de la guerre d’Algérie dans le même lieu. Jaillit le souffle du monde de celui qui a échappé aux muti­la­tions de la guerre, qui est sorti sain et sauf de la horde des ébouillan­tés vifs, des dis­pa­rus mais revient humi­lié pour retrou­ver la vie.
Ce n’est certes pas Pro­gé­ni­tures (livre excep­tion­nel). L’auteur retourne à une bio­gra­phie plus sobre (quoi que…) enta­mée avec Comas au sein d’une langue nor­ma­tive. En désordre bio­gra­phique, Guyo­tat décrit ici sa fugue et sa guerre où il finit arrêté car ses écrits (publiés déjà au Seuil) l’incriminaient.

Le corps imprime une fois de plus le livre de celui qui est hanté par la guerre. L’écoulement du livre char­rie la saleté, la misère, le sang de cet ana­cho­rète qui se nour­rit d’huile et de pain. Il y a là le bruit et la fureur dans l’ivresse et la sidé­ra­tion d’un flux radi­cal et poé­tique à la force extrême là. La lit­té­ra­ture atteint une sorte de pureté par le sens de la scis­sion au sein même du voyeu­risme.
Dans un tel roman, l’écriture sans trace de conven­tion est l’initiation au silence de l’homme comme affolé par la futi­lité des mots mais pour­tant qu’il domine. A par­tir des phrases ins­crites avec téna­cité, il conduit avec puis­sance une langue qui n’en a jamais fini de res­sas­ser les mêmes ques­tions avec les mêmes mots.

Mais ici les fila­ments noirs sortent des idées confuses comme de la peur hagarde. Ils espèrent pou­voir dire ce que l’auteur n’espérait pas – ou plus. Ce qui per­siste tient tête à la vie par ce qui s’inscrit et s’érige non en vue de l’ultime clô­ture mais pour créer des cou­rants d’air qu’il fau­drait endi­guer afin que l’homme ne se perde plus dans la peur.
Le livre devient une nuit indul­gente — par­fai­te­ment tendre et fémi­nine. Guyo­tat y renoue avec le fas­ci­nant, le fur­tif pacte ori­gi­nal du fruit et de la nuit du même nom. Avant que ce soit la terre, le ciel se ren­verse sur l’auteur aux prises avec des forces inconscientes.

Que lui reste-t-il d’autre à faire que de vivre par-devers la ruine dans l’attente de la joie que donne le livre ? Il accom­pagne sur la pente du retour d’Algérie une vraie poé­sie dans laquelle l’auteur n’oublie pas les grillons tapa­geurs qui lui sau­ront gré de cette force lais­sée au hasard.
Plu­tôt que de vivre recro­que­villé, Guyo­tat vit pour gar­der quelque chose d’une minute fra­ter­nelle par-delà les doutes et la contra­dic­tion. Son texte, dans sa tra­ver­sée du temps, est l’espace d’un pur instant.

jean-paul gavard-perret

Pierre Guyo­tat, Idio­tie, Gras­set, Paris, 2018, 256 p. — 19,00 €.

1 Comment

Filed under Romans

One Response to Pierre Guyotat, Idiotie — Rentrée 2018

  1. Villeneuve

    Par­faite ana­lyse de JPGP ins­piré par ” Idio­tie ” , la tra­gé­die , l’Algérie et la poé­sie du grand écri­vain Guyotat .

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