En 1914, Ludwig, Lucas, Luigi et Lucien, sont oubliés lors de l’évacuation de l’orphelinat de Valencourt. Ils vivent alors de façon autonome dans la forêt proche avec Luce, une réfugiée belge séparée de ses parents. Ils forment la bande des Lulus.
Après cinq albums couvrant les années 1914 à 1918, vient le moment d’approfondir certaines circonstances juste évoquées dans le fil du récit initial et de la Grande Histoire.
En octobre 1936, à Amiens, un historien rencontre Luigi. Il recueille des témoignages de Français ayant séjourné en Allemagne pendant la Grande Guerre. Or, les Lulus, en 1916, voulant rejoindre la Suisse, se sont trompés de train et sont arrivés à Berlin. Au terminus du train, voyageurs clandestins, ils se faufilent pour échapper à un agent de la compagnie ferroviaire et se fondent dans la foule devant la gare. Un musicien chante. Le petit singe qui l’accompagne attire l’attention d’un Lulu.
En s’arrêtant, il heurte un jeune pickpocket qui vient de dérober une montre à un spectateur. Celui-ci s’aperçoit vite du larcin et hurle : “Au voleur !”. Surgissent deux policiers. Les Lulus n’ont pas d’autre choix que de suivre le jeune détrousseur qui, de toute façon, connaît mieux la ville qu’eux. S’ensuit une course poursuite échevelée jusqu’à…
Avec l’intrusion de son groupe de héros et une succession de courses-poursuites, le scénariste fait découvrir de nombreux aspects de la vie quotidienne dans la capitale allemande en 1916. On retrouve la difficulté de trouver de la nourriture, le rationnement étant encore plus sévère que dans la zone française occupée. Comme en France, fleurit le marché noir, un marché difficilement accessible aux traîne-misère. Ils font connaissance avec la débrouille, la mendicité, la guerre entre bandes pour la suprématie sur des territoires, pour la possession de filles à prostituer. Il évoque aussi la vie facile que mènent, loin du front et de ses horreurs, les planqués, les pseudo-élites du régime.
Régis Hautière joue aussi sur le fait que les orphelins se pensent arrivés en Suisse et il donne des répliques pleines d’humour sur les quiproquos qui en naissent et sur les Suisses eux-mêmes.
Damien Cuvillier s’est approprié de belle manière les personnages crées par Hardoc et les anime de façon fort dynamique, continuant la saga tout en amenant une touche personnelle qui démarque ce diptyque dérivé de la série originelle. Il reconstitue les principaux éléments qui identifient Berlin au début du XXe siècle et offre des pages remarquables, proposant une mise en page assez classique dont il joue, cependant, avec adresse.
La mise en couleurs, assurée par David François, renforce l’atmosphère du récit avec ses teintes douces, neutres ou ternes comme les vêtements bon marché et bien usés.
Une suite passionnante avec un groupe de héros attachants dans une histoire sous tension, qui tient la promesse de nombreux rebondissements.
serge perraud
Régis Hautière (scénario), Damien Cuvillier (dessin) & David François (couleurs), La Guerre des Lulus – 1916 : La Perspective Luigi, t.1, Casterman, juin 2018, 64 p. – 13,95 €.