Pierre Chiron, Bleu, Marguerite et l’abominable L.

Un sin­gu­lier corbeau…

Bleu est un grand cor­beau qui raconte com­ment, lorsqu’il était encore un jeune adulte de cinq ans, il a ren­con­tré Mar­gue­rite. C’est elle qui l’a bap­tisé ainsi. Dans un gros bourg de Loire-Atlantique où elle était ins­ti­tu­trice, elle avait la charge d’une classe unique allant du cours pré­pa­ra­toire au cer­ti­fi­cat d’études. Ils ont tissé un lien psy­chique. Il détaille ce qu’il a vu et com­pris de sa vie, de ses rap­ports avec les enfants, avec Ray­mond son mari.
Il relate la riva­lité entre l’école publique et l’école reli­gieuse, et la seule fois où un enfant est passé de l’une à l’autre. Edg­berto a été amené vers Mar­gue­rite par une mère bou­le­ver­sée parce que son com­por­te­ment pose pro­blème. C’est un gar­çon per­turbé, au visage ravagé par les tics. Cepen­dant, il se révèle un excellent élève et, en quelques semaines, il va mieux, ne gar­dant qu’un souci maniaque de l’heure et res­tant taci­turne. Parti pour Nantes, il réus­sit ses études et devient radio­logue. Il n’oublie pas son ins­ti­tu­trice, qu’il vient voir de temps à autre. Mar­gue­rite atteint cinquante-cinq ans. Elle est mise à la retraite et doit quit­ter son loge­ment de fonc­tion. Elle évoque cette situa­tion devant Edg­berto. Celui-ci revient quelques jours plus tard. Il a acheté une mai­son de cam­pagne et une mai­son­nette tout près qu’il met à la dis­po­si­tion du couple en échange de menus ser­vices.
La vie passe. Elle devient veuve. Un jour, elle remarque des allées et venues inha­bi­tuelles, voit pas­ser un étrange motard sur une drôle de machine. Intri­guée, elle se rend chez son ancien élève et découvre toute la famille assassinée…

L’auteur donne la parole à Bleu, ce cor­beau qui s’est atta­ché à cette dame. Mais vite, il trouve que celui-ci n’a pas res­pecté les consignes nar­ra­tives qui lui avaient été don­nées et il reprend le fil du récit pour le recen­trer sur le cœur de l’action. Or, Bleu n’est pas d’accord et repren­dra, à de mul­tiples reprises, la parole pour don­ner sa ver­sion.
Cha­cun en pro­fite, au pas­sage, pour cri­ti­quer la façon de pré­sen­ter de l’autre. Mais Pierre Chi­ron, sans l’interrompre, laisse Mar­gue­rite racon­ter l’enquête qu’elle est contrainte de mener pour élu­ci­der ce triple meurtre et réta­blir une vérité qui ris­quait de souf­frir de nombre de ragots.

Ce récit est enjoué, enlevé, raconté de belle manière par les dif­fé­rents inter­ve­nants. C’est une his­toire pleine de nos­tal­gie, rela­tant une atmo­sphère tein­tée de mélan­co­lie pour une époque révo­lue. Les trans­ports sco­laires ont tué ces classes uniques, ces rap­ports entre les ensei­gnants au plus près de leurs élèves, connais­sant leur milieu leur envi­ron­ne­ment, sachant faire aimer, autant que faire se peut, les matières de base de l’enseignement public. l’auteur lance une petite pique des­ti­née aux éta­blis­se­ments d’enseignements pri­vés qui ne cherchent qu’à gar­der les élèves ne posant pas de pro­blèmes.
Pierre Chi­ron raconte avec verve, usant d’un voca­bu­laire adapté, des mots choi­sis qui font mouche. Il décrit aussi l’horreur d une enfance rava­gée par l’intégrisme, par la folie mys­tique et par les consé­quences qu’elles peuvent avoir sur des adultes trau­ma­ti­sés dès leur plus jeune âge.

Dans un cadre buco­lique, le roman­cier ins­talle une intrigue habile, basée sur des pro­blé­ma­tiques d’aujourd’hui et qui croît en ten­sion jusqu’à une belle conclu­sion. Il conçoit, pour ser­vir son his­toire, une gale­rie de per­son­nages peu habi­tuels, pre­nant des gens du peuple, un cor­beau, d’anciens élèves qui gardent un atta­che­ment à leur ins­ti­tu­trice…
L’humour est très pré­sent avec ces alter­ca­tions entre nar­ra­teurs, avec les réflexions de Bleu, ses hypo­thèses quant aux atti­tudes des humains.

Avec Bleu, Mar­gue­rite et l’abominable L. Pierre Chi­ron signe un pre­mier roman assu­ré­ment inso­lite que l’on dévore avec gourmandise.

Serge per­raud

Pierre Chi­ron, Bleu, Mar­gue­rite et l’abominable L., l’aube, coll. “Regards d’Ici”, juin 2018, 208 p. – 17,00 €.

Leave a Comment

Filed under Pôle noir / Thriller

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>