Dès ses premiers « envols », Pierre Tal Coat a créé une œuvre « expérimentale ». Avide et sceptique, dans un mouvement double d’érection et de disparition, il semble mesurer l’ « objet » volatil qu’il veut fixer sans souci premier du beau ou de la matière. Néanmoins, la beauté est présente. Elle donne à l’œuvre sa puissance. Et la matière n’est en rien accessoire. L’artiste l’explore en ses diversités.
Puis, par la fragmentation et la discontinuité, Tal Coat crée une œuvre d’un seul tenant habité du tremblement perceptuel, phénoménologique et de corps conducteurs de plus en plus minimalistes. Ils deviennent un contre-feu aux tissus vertigineux de l’art depuis sa création.
L’artiste revient donc à des fondements pour évacuer certains poids, empois et dépôts à travers lesquels l’art s’est « choséifié » (Beckett). Il crée en contrepoint et comme il l’écrit en « une immobilité battante ». Le minimalisme y devient insurrectionnel pour saisir le monde non tel qu’il est mais en imposant un « il est comme ça ».
Toutefois, sa version n’est ni une caricature, ni un simulacre. Elle oblige à un regard étranger où une certaine forme d’abstraction n’est pas métaphysique : elle est régie par un geste hérité en partie et entre autres de c.
Pour autant l’artiste n’ignore rien de l’histoire de l’art mais à un travail stable et « sensé » il préfère – tout en endossant l’héritage de ses prédécesseurs – une quasi tabula rasa. Les lignes y transitent comme l’individu anonyme traverse le monde en quête à la fois de son corps, d’une communauté sans que pour autant l’image joue de la mimésis.
Entre l’histoire de l’art et l’instant, l’artiste remet en question la première dans une force fractale où le chaos n’est qu’apparence. Tal Coat est en effet un constructeur. Sous la déconstruction apparente — et en avance sur son époque — il crée une subversion afin que l’art (comme la poésie) parle autrement dans la concentration des signes, de leurs cadences et de leurs silences effusifs.
jean-paul gavard-perret
Tal Coat (1905–1985), Les années d’envol, Musée Hébert, Grenoble (La Tronche), 24 juin — 28 octobre 2018.
De l’artiste, L’Immobilité battante, L’Atelier Contemporain, Strasbourg, 2017 - 20,00 € .