Tal Coat (1905–1985), Les années d’envol (exposition)

Tabula rasa

Dès ses pre­miers « envols », Pierre Tal Coat a créé une œuvre « expé­ri­men­tale ». Avide et scep­tique, dans un mou­ve­ment double d’érection et de dis­pa­ri­tion, il semble mesu­rer l’ « objet » vola­til qu’il veut fixer sans souci pre­mier du beau ou de la matière. Néan­moins, la beauté est pré­sente. Elle donne à l’œuvre sa puis­sance. Et la matière n’est en rien acces­soire. L’artiste l’explore en ses diver­si­tés.
Puis, par la frag­men­ta­tion et la dis­con­ti­nuité, Tal Coat crée une œuvre d’un seul tenant habité du trem­ble­ment per­cep­tuel, phé­no­mé­no­lo­gique et de corps conduc­teurs de plus en plus mini­ma­listes. Ils deviennent un contre-feu aux tis­sus ver­ti­gi­neux de l’art depuis sa création.

L’artiste revient donc à des fon­de­ments pour éva­cuer cer­tains poids, empois et dépôts à tra­vers les­quels l’art s’est « cho­séi­fié » (Beckett). Il crée en contre­point et comme il l’écrit en « une immo­bi­lité bat­tante ». Le mini­ma­lisme y devient insur­rec­tion­nel pour sai­sir le monde non tel qu’il est mais en impo­sant un « il est comme ça ».
Tou­te­fois, sa ver­sion n’est ni une cari­ca­ture, ni un simu­lacre. Elle oblige à un regard étran­ger où une cer­taine forme d’abstraction n’est pas méta­phy­sique : elle est régie par un geste hérité en par­tie et entre autres de c.

Pour autant l’artiste n’ignore rien de l’histoire de l’art mais à un tra­vail stable et « sensé » il pré­fère – tout en endos­sant l’héritage de ses pré­dé­ces­seurs – une quasi tabula rasa. Les lignes y tran­sitent comme l’individu ano­nyme tra­verse le monde en quête à la fois de son corps, d’une com­mu­nauté sans que pour autant l’image joue de la mimé­sis.
Entre l’histoire de l’art et l’instant, l’artiste remet en ques­tion la pre­mière dans une force frac­tale où le chaos n’est qu’apparence. Tal Coat est en effet un construc­teur. Sous la décons­truc­tion appa­rente — et en avance sur son époque — il crée une sub­ver­sion afin que l’art (comme la poé­sie) parle autre­ment dans la concen­tra­tion des signes, de leurs cadences et de leurs silences effusifs.

jean-paul gavard-perret

Tal Coat (1905–1985), Les années d’envol, Musée Hébert, Gre­noble (La Tronche), 24 juin — 28 octobre 2018.
De l’artiste,  L’Immobilité bat­tante, L’Atelier Contem­po­rain, Stras­bourg, 2017 - 20,00 € .

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