Le sujet de ce roman est tout sauf banal : en 1948, les vétérans invalides de la Seconde Guerre mondiale, devenus indésirables pour Staline, sont exilés en divers lieux confinés, dont l’île de Valaam, en Carélie. Deux d’entre eux, les inséparables Kotik Tchoubine et Piotr Sniezinsky, perçoivent d’abord l’île à peu près comme une villégiature, ayant subi des conditions de vie bien plus dures. S’ils finissent par vouloir la quitter, au bout de quatre ans, c’est parce qu’ils rêvent de rejoindre une aviatrice célèbre, Natalia Mekline, ou du moins de se rapprocher de sa famille.
L’aviatrice, qu’ils n’ont jamais croisée, est pour eux à la fois une idole et quelqu’un qui semble proche pour avoir une expérience de la guerre, comparable à la leur. Sans être certains de pouvoir la séduire, ils voudraient tout de même tenter leur chance…
Traité par quelqu’un d’autre, ce sujet aurait pu donner un beau roman. Le livre de Michel Jullien produit l’impression d’un ratage pour deux raisons. La première : on y trouve plus de descriptions et d’anecdotes que de récit proprement dit ; l’action est répétitive ; la substance narrative aurait suffi pour une nouvelle, mais étirée sur 128 pages, elle engendre l’ennui et l’impression que Michel Julien manque de “métier“. La seconde : l’écriture offre un mélange de préciosités, de pédanteries, d’argot, de maladresses et d’anglicismes, qui devient à la longue exaspérant.
Par ailleurs, les personnages sont caractérisés de façon trop sommaire pour être crédibles, et l’on trouve dans le récit des invraisemblances frappantes, comme le fait que Piotr transporte sous son aisselle, pendant près de dix ans, une page de journal (où figure une photo de l’aviatrice), pliée et dépliée quotidiennement pour être contemplée, sans que le papier s’abîme.
On subodore que l’auteur avait pour modèle Bouvard et Pécuchet, mais son roman rappelle davantage les frères Goncourt, par sa propension au maniérisme et au naturalisme le moins ragoûtant. Un exemple : “Ses haleines libéraient un dégel au faciès, la fonte des sinus. Il se reprit en gorge le temps de rabrouer sa pépie (ce grand bovin qu’il avait sur la langue), de liquéfier sous le chaud du palais une réserve de salive suffisante, complétée de glaires venues de pas très loin […]“ (p. 108) – suit une série de crachats décrite sur neuf lignes.
Espérons que Michel Jullien sera mieux inspiré pour son prochain roman.
agathe de lastyns
Michel Jullien, L’île aux troncs, Verdier, août 2018, 128 p. – 14,00 €.
absolument d’accord avec votre analyse : ratage et lecture exaspérante, auto flattée, sur un sujet assez dingue qui méritait mieux que cette prose empesée et prétentieuse qui oblitère l’intrigue qui tient sur un pauvre ticket de métro. Que de livres (et d’auteurs) qui préfèrent soigner leur égo littéraire plutôt qu’intéresser leur audience à une histoire…Jolie caricature avec ce bouquin, tout à fait évitable.
Totalement d’accord avec vous : c’est irritant au dernier degré. Précieux, truffé d’afféteries insupportables et de mots rares balancés à chaque page, ce livre illustre bien l’impasse d’une littérature française actuelle qui, à force d’aller contre l’air du temps et de vouloir faire “littéraire” à tout crin, s’enlise dans le spectacle de ses propres performances et ne sait plus raconter une histoire.
Pas d’accord, Messieurs.
Une écriture, au départ, un peu déconcertante certes, mais très vite ressentie comme très riche et tendre; tendre à la fois pour ses personnages et l’histoire, mais aussi pour la langue (française) ainsi déployée.
Regards et sentiments prenants pour ces deux comparses, mutilés. Mais le sont ils, mutilés…? Où, est ce nous les mutilés ??
Enfin, un écrivain de langue et culture française qui sait ressentir et transmettre l’âme russe de ces années et de tout temps.