C’est le deuxième volume du “journal politique“ de Michel Winock (j’avoue avec regret que j’ai manqué de lire le premier), excellent historien, auteur entre autres d’une magistrale biographie de Flaubert. Son parti pris consiste à limiter au possible les données concernant la vie privée de l’auteur, pour fixer son attention – et la nôtre – sur les événements de la vie publique.
Contrairement à ce qu’on peut imaginer avant de s’y plonger, le texte est captivant même pour un lecteur que la politique ne fascine aucunement (c’est mon cas), car Michel Winock se révèle, au présent, un observateur d’une lucidité stupéfiante. De fait, ses réflexions et ses prévisions notées le jour même d’un fait important s’avèrent presque toutes justifiées, avec le recul dans le temps, qu’il s’agisse de prédire, en 1981, la fin du Parti communiste français (p. 29) ou l’éclatement de la Yougoslavie, dès mars 1991 (p. 234).
Sa clairvoyance est d’autant plus frappante que nous sommes habitués, depuis bien longtemps, à fréquenter, par le biais des médias ou de leurs livres, des intellectuels qui n’ont guère fait autre chose que de se tromper à chaque étape de leur longue carrière de penseurs politiques – je ne citerai pas de noms, on les trouve presque tous dans l’ouvrage de Winock, et ils en prennent pour leur grade.
Autre qualité rarissime de l’historien et diariste, sur le fond du paysage intellectuel français : c’est un démocrate authentique, en d’autres termes, un homme capable de se réjouir lorsque la droite succède aux socialistes, quand bien même il est de gauche. Et à propos de gauche, ses opinions, ses jugements et ses analyses sont si nuancés, si éloignés des préjugés et des certitudes courantes des autres têtes pensantes de la même tendance, qu’on en vient à se demander, d’une part, ce que Winock a de commun avec eux, et d’autre part, pourquoi sa façon d’“être de gauche“ n’est pas plus contagieuse que (par exemple) le “politiquement correct“ – que notre auteur a vu venir, naturellement, bien avant qu’il ne sévisse en France. Monsieur Winock, faites des petits (intellectuellement parlant), c’est urgent !
Le moment est venu d’émettre quelques réserves quant à un autre aspect du livre : ce que nous apprenons du quotidien de l’auteur (participation à des colloques, enseignement à Sciences Po, travail aux éditions du Seuil ou collaboration à tels médias) n’offre qu’un intérêt très limité pour un lecteur qui n’est pas du même microcosme.
On se demande aussi pourquoi Winock n’a pas coupé deux réflexions concernant le fait de tenir un journal, selon lesquelles ce serait “propre aux oisifs, aux gens de lettres“ qui “n’ont généralement rien à dire“ (p. 201), et qui ont tort de publier ces ouvrages-là de leur vivant, plutôt que longtemps après leur mort (p. 366). Personnellement, j’espère que Michel Winock n’attendra ni sa propre mort, ni encore davantage avant de nous permettre de lire la suite de son œuvre de diariste.
agathe de lastyns
Michel Winock, Les années Mitterrand, Thierry Marchaisse, mars 2018, 490 p. – 25,00 €.