Emmanuel Romeo demande à la photographie et par son travail une extase du monde. C’est là une donnée fondamentale d’une création pour laquelle l’émotion est recherchée au sein de la nature et par les métamorphoses que le photographe invente en des jeux de surface et de lumière. La densité et le diaphane sont englobés dans un bain de lumière en des “déplacements” successifs. Nul faux pas, nul voyage de Charybde en Scylla déjà, mais l’approche d’une beauté dont les fragrances naissent du réel mais s’en échappent “à peine venu parti à peine venu parti” (Beckett, Cette fois ). Ce qui est pris pour l’insignifiance du contingent chez tant de primesautiers.La solennité se fait poésie quasi tactile sans la moindre emphase, afin que demeure l’essentiel non “monté en épingle” et que la beauté du monde respire à travers des images ineffables en qui débouche magiquement sur un cycle cosmique contre le chaos. Là où l’image déploie une rythmique étrange, “sensorielle »-
Exposition Office de Tourisme — Espace photo — St Gaudens (31) du 14 juin au 31 juillet 2018.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Je crois que c’est avant tout un grand appétit de vivre, d’agir. Comme j’aime beaucoup dormir, il y a tout de même un certain conflit…
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Ils n’ont presque pas changé, ils sont juste un peu alourdis par l’expérience. J’étais très tôt attiré par le mystère, surtout quand il se manifeste dans un milieu naturel. Tout petit j’ai eu la chance de pouvoir formuler mes rêves sous les étoiles au milieu des champs. Mais ce que j’ai compris plus tard, c’est que c’était cette profonde poésie de l’inconnu, que je retirais des lieux et des climats, qui me bouleversait le plus. Mes rêves d’enfant, c’est maintenant que je les exprime. En fait je n’ai pas beaucoup grandi.
A quoi avez-vous renoncé ?
A tout vouloir expliquer dans mon travail. Il y a un grand nombre de choses qui m’échappent quand je fais une photo, ou beaucoup sont incommunicables car trop intimes. Il y avait peut-être un certain orgueil chez moi, à vouloir toujours me justifier, à analyser avec le mental, car les mots masquent souvent l’essentiel. Je crois qu’une oeuvre d’art est une énigme en soi.
D’où venez-vous ?
D’une famille d’artistes. Je suis redevable à mes parents de m’avoir transmis le goût de l’art, sans jamais essayer de me l’imposer.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Le refus permanent d’adopter des armures. Et puis un penchant pour la sobriété, pour les plaisirs simples : découvrir un monde dans le reflet d’une mare, par exemple.
Croque-terre
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Goûter le silence. Un petit plaisir qui peut devenir grand.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres écrivains et artiste ?
Tout et rien. Sérieusement, c’est une question qui ne me préoccupe pas du tout. De plus, je pense qu’elle pourrait avoir tendance à me détourner de la sincérité de mon approche. J’évite toute forme de comparaison.
Comment définiriez-vous votre approche du paysage ?
Bancale et multiforme. Je ne crois pas avoir une démarche bien méthodique, ni même de sujet de prédilection. Dans la plupart des cas, c’est plutôt d’ordre imaginaire : pour faire court, je dirais qu’une certaine vision intime va venir se superposer au sujet, que j’utilise comme une matière brute. Les modifications s’imposent quelquefois en cours de prise de vues, quand de nouvelles idées surgissent. Michel Random disait que la vision, c’est toujours l’expérience d’une unité qui sans cesse est proche et se dérobe. Je réalise de plus en plus avec le temps que je poursuis une chimère, mais c’est justement ce qui me plait.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Je ne suis pas sûr que ce soit la toute première, mais c’est probablement « Le jardin des délices » de Bosch qui a le plus marqué mon enfance.
Et votre première lecture ?
« Les contes de Perrault », je pense. Avec ou sans illustrations. Je soupçonne d’ailleurs Perrault, Andersen et les frères Grimm, de m’avoir plusieurs fois égaré en pleine forêt.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Pratiquement aucune. J’aime trop le silence.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
« La mer de la fertilité » de Mishima, « Hebdomeros » de Chirico, …
Quel film vous fait pleurer ?
Je ne me souviens pas d’avoir jamais pleuré devant un film, peut-être parce que j’en évite certains.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Un gaucher.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Jacques Le Maréchal.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Ceux que je n’ai visités qu’en rêve, et qui peut-être n’appartiennent pas à notre réalité mais sont d’une densité troublante.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
C’est plus une proximité d’âme que de démarche. Parmi les artistes qui me touchent le plus, je citerais Siskind, de Chirico, Magritte, Le Marechal, Dado, Velly, Giacomelli, Beksinski, Mohlitz… Ce sont pour moi des énergies bien vivantes.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Une bonne surprise !
Que défendez-vous ?
Pour parler franchement, je ne suis pas sûr de défendre consciemment quoi que ce soit de bien précis. Délibérément ou pas, en créant une oeuvre plastique, on va défendre un certain regard. Donc, d’une certaine manière, son droit à l’existence. L’important est peut-être de l’oublier.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?
Que je préfère ne garder que les trois premiers mots.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ? »
J’ai envie de dire qu’il pourrait s’agir d’une critique sur la persistance que nous avons à donner des réponses à des questions que nous avons mal comprises. Mais connaissant un peu l’humour de Woody Allen, je suis aussi tenté de croire qu’il a peut-être voulu se moquer des personnes qui posent des questions très longues et alambiquées.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
« Quel est votre souvenir le plus ancien ? »
Présentation et entretien réalisés par j ean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 28 mai 2018.