Van Hamme (scénario) et Francq (dessin), Largo Winch, tomes 12 “Shadow” et 13 “Le Prix de l’argent”

Bien­ve­nue au royaume de la mix­tion de l’économie, du méga­bu­si­ness et de la world enterprise

On avait laissé Winch dans Gol­den Gate en sin­gu­lière pos­ture. Devenu du jour au len­de­main la vedette d’un feuille­ton télé dau­besque — un “Sha­dow” qui même à un “s” prêt n’a rien de cas­sa­vet­tien — enre­gis­tré à San Fran­cisco et pro­duit par une filiale du groupe, W9, l’ami de Largo Simon Ovron­naz, pétait un câble tan­dis que son mil­liar­daire de copain se met­tait à cou­per les che­veux et les dol­lars en quatre afin de déter­mi­ner quelle fac­tion (sédi­tieuse, n’en dou­tez pas) se dis­si­mu­lait der­rière ce cas­ting dou­teux au finan­ce­ment trop consé­quent pour ne pas recou­vrir d’autres inten­tions. L’affaire était d’ailleurs suf­fi­sam­ment louche pour que, piégé comme un débu­tant, Largo se retrouve en pri­son (accusé de viol sur mineure) aux côtés de Cochrane, numéro 2 du groupe W, inculpé quant à lui par l’I.R.$ (le ser­vice du fisc amé­ri­cain) pour fraude fis­cale. Bref, c’était la Béré­zina totale au pays des sunlights.…

Shadow, 12e opus de la série, met un heu­reux terme à l’inconfort des uns et des autres tout en rabi­bo­chant les deux amis. Entre-temps Largo aura réglé ses comptes avec un autre groupe finan­cier ayant monté toute cette opé­ra­tion pour lui faire un sort, sauvé d’une bande de rats et d’un snuff-movie cro­qui­gno­let une de ses employées, Sarah Washing­ton, sou­dai­ne­ment dis­pa­rue dans le tome pré­cé­dent, échappé lui-même à un enter­re­ment dans le désert ins­piré des rituels nava­jos, sa tête seule émer­geant du sable, à la merci des scor­pions et des four­mis ! Rien de neuf sous le soleil de l’inspiration scé­na­ris­tique direz-vous ? En un cer­tain sens force est de recon­naître que la mix­tion d’économie, de méga­bu­si­ness et de world enter­prise qui carac­té­rise la saga se dévide avec régu­la­rité d’un album à l’autre — ce qui ne déplaît pas au lec­to­rat, loin s’ en faut, puisque Largo Winch se décline déjà à tra­vers de nom­breux sup­ports mar­ke­ting : série TV, jeu vidéo, par­fum etc.

Qui ne s’amusera/ s’inquiétera pas — c’est selon — à ce pro­pos que la réa­lité rejoigne en la matière la fic­tion, le feuille­ton Largo Winch venant d’être lancé sur M6 au moment où paraît cet album consa­cré à l’ enter­tain­ment et aux pla­teaux de télé­vi­sion… ? Quoi qu’il en soit, on aurait mau­vaise grâce à ne pas admettre que les rebon­dis­se­ments fonc­tionnent bien, que le sus­pense et les scènes d’action sont au rendez-vous. Sha­dow est d’ailleurs plus dense, plus struc­turé que Gol­den Gate et même si de longues bulles expli­ca­tives empèsent par­fois le dérou­le­ment de l’intrigue mise sans failles en bouche par un des­sin lim­pide et carré de Francq, Largo nous expose une nou­velle fois de manière magis­trale la per­ver­sion des requins de la finance qui en veulent tou­jours plus. Un peu comme les lec­teurs en mal de pro­jec­tions iden­ti­taires et de sen­sa­tions somme toute, signe peut-être que, confor­ta­ble­ment à l’abri dans un para­dis fis­cal ou sau­va­ge­ment expo­sée à la déré­lic­tion sociale, la gent humaine demeure tou­jours rivée aux mêmes (bas) instincts…

 

Une fois n’est pas cou­tume, Le beau Largo se trouve dès le début de cet album dans la mouise jusqu’au cou, à croire qu’il attire autant les ennuis que les regard des femmes. En effet, alors qu’il est invité sur le pla­teau de l’émission « Le Prix de l’Argent », notre frin­gant mil­liar­daire a à peine le temps de se lan­cer dans un cou­plet sur sa défi­ni­tion fuyante de la mon­dia­li­sa­tion, lui qui est appa­rem­ment si sou­cieux de la misère du monde (humm), qu’il assiste au sui­cide en direct de Den­nis Tar­rant, l’ancien direc­teur d’une des mille entre­prises du groupe W, Speed One, dis­soute il y a peu. Les taches fai­sant mau­vais ménage avec les paillettes, sur­tout lorsqu’elles maculent aussi les camé­ras, Largo, accusé d’homicide, s’envole illico pour le Mon­tana afin d’enquêter sur place sur les comptes de Speed one, entre­prise de construc­tion de skis appe­lée à être délo­ca­li­sée en Tchéquie.

Bien évi­dem­ment il n’est pas le bien­venu chez les locaux, qui le reçoivent à leur façon et notre play-boy amo­ché ne trou­vera récon­fort que dans les bras de la fille, aveugle, de Tar­rant, dont on devine qu’elle sera sa pro­chaine conquête. Bien évi­dem­ment il y a magouille sur roche et l’on pressent que la mul­ti­na­tio­nale mil­liar­daire qu’est le groupe W est blanche comme neige quant au sui­cide de Tar­rant orches­tré par des per­sonnes mal­veillantes. Sur un air télé­phoné, l’intérêt de ce Prix de l’argent réside plu­tôt dans la sou­daine soli­tude qui pèse sur les épaules de Winch, que ses deux amis Simon et Freddy sont fati­gués de suivre dans ses démê­lées. Van Hamme comble les attentes de ses lec­teurs au pas­sage en pro­po­sant ici la suite de l’histoire de Freddy Kaplan, alias Ari Ben Chaïm, per­son­nage énig­ma­tique qui accom­pagne Largo depuis plus long­temps que Simon et dont le passé, en par­tie révélé dans Gol­den Gate, n’avait pas encore été tota­le­ment éclairé par les feux du flash-back.

Sans doute pas le meilleur album de la série qui tend à se relâ­cher quelque peu depuis le tome 11, pas celui en tout cas qui amène à une prise de posi­tion cri­tique par rap­port à la ques­tion géo­po­li­tique de la mon­dia­li­sa­tion ou à la casuis­tique d’un PDG de groupe inter­na­tio­nal, mais une intrigue de bon ton qui suit son bon­homme (fri­qué) de chemin.

fre­de­ric grolleau

   
 

Van Hamme (scé­na­rio) et Francq (des­sin), Largo Winch, Dupuis, col­lec­tion Repé­rages,
-  tome 12 : “Sha­dow”, 2002, 48 p. — 9, 50 €.
-  tome 13 : “Le Prix de l’argent”, 2004, 48 p. — 9, 50 €.

 
     
 

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