David Almond, La Chanson d’Orphée

Peut-on rame­ner sa Belle des Enfers ?

Plusieurs auteurs ou cinéastes ont déjà revi­sité avec plus ou moins de suc­cès le mythe d’Orphée et Eury­dice. Orphée, qui visite les Enfers, pour, rappelons-le, rame­ner son grand Amour vers le monde des vivants, mais qui la perd défi­ni­ti­ve­ment en se mon­trant un peu trop pré­somp­tueux. Dans son roman des­tiné à des ado­les­cents et jeunes adultes, David Almond fait le choix de mettre en scène ces per­son­nages dans notre société contem­po­raine, en don­nant une impor­tance par­ti­cu­lière aux talents de musi­cien d’ Orphée.

“Je suis celle qui reste (…) celle qui doit racon­ter. Je les ai connus tous les deux. Je sais com­ment ils ont vécu, com­ment ils sont morts (….). Il faut que je me débar­rasse de cette his­toire et que je vive ma vie. (…) Je ramè­ne­rai mon amie dans le monde pour une der­nière nuit , puis la lais­se­rai par­tir pour tou­jours…’” C’est Claire, la meilleure amie d’Ella Grey, qui nous narre leur his­toire d’Amour. Ella et Claire sont deux jeunes filles sans his­toire qui finissent leurs études dans le lycée d’une petite ville bri­tan­nique, où elles traînent avec leur bande de copains, en s’ennuyant un peu. C’est lors d’un séjour au bord de mer que tout va chan­ger pour Ella. La petite troupe croise le che­min d’un jeune artiste, Orphée, dont la musique envoûte les plus réfrac­taires à son charme intem­po­rel.
Surgi de nulle part, Orphée fait cha­vi­rer le cœur d’Ella, qui ne vit plus alors que pour leur rela­tion. Ren­trée en ville, elle le pré­sente à sa famille, qui voit d’un mau­vais œil leur rela­tion, pré­fé­rant qu’Ella se consacre à ses études. Mais rien y fait, Ella s’éloigne peu à peu des siens, et vit plei­ne­ment son amour avec Orphée, qui lui aussi, cesse ses péré­gri­na­tions pour res­ter à ses côtés.
Lors d’un second séjour dans cette sta­tion bal­néaire, elle finit par trou­ver la mort, dans de mys­té­rieuses cir­cons­tances. Dés lors, Claire pleure son Amie, et Orphée n’a plus qu’une seule idée en tête : rame­ner Ella de l’au-delà, quitte à des­cendre aux Enfers. Mais cette ultime preuve d’amour n’est-elle pas vouée à l’échec ?

Ce roman de l’auteur bri­tan­nique David Almond, déten­teur de plu­sieurs prix inter­na­tio­naux pour la jeu­nesse, est une belle ‘revi­site’ du mythe. Mêlant fan­tas­tique et romance dans une société où l’on écoute plus la musique dans un casque qu’auprès d’artistes de rue, l’auteur fait glis­ser sa plume avec poé­sie, tel un archet sur un vio­lon, prêt à nous entraî­ner dans une gigue endia­blée. Le texte est en effet très bien écrit, n’a rien de naïf et rend autant hom­mage à la force de l’Amour, que l’on vou­drait éter­nel, qu’à la puis­sance envoû­tante de la Musique : musique du cœur, de l’âme, de la vie tout sim­ple­ment.
Une vie assez morose pour le groupe d’adolescents de ce roman qui cherchent quoi faire de leur ave­nir, et qui sont liés par une solide ami­tié. Cette ami­tié va cepen­dant être mise à mal suite à la ren­contre avec Orphée, décrit comme un séducteur.

L’amour subit qui va unir Ella à Orphée va leur faire tout oublier, il s’autonourrit, et les entraîne peu à peu dans une spi­rale des­truc­trice, dont les proches sont les témoins. L’artiste bohème n’est pas en phase avec notre société maté­ria­liste et terre à terre, et leur rela­tion ne peut être qu’incomprise, même si elle fait des envieux, y com­pris parmi les adultes du roman. Les amou­reux sont confron­tés au cynisme et à l’hypocrisie sociale, mais s’en moquent.
Cepen­dant, leur aveu­gle­ment, leur insou­ciance est punie par les Dieux, des Dieux absents au quo­ti­dien, mais jaloux comme les humains, de cette force qui les dépasse. Le sacri­fice ultime que veut faire Orphée en récu­pé­rant Ella aux enfers est décrit comme un périple tor­tueux, une mise à l’épreuve per­due d’avance. Et quand le roman s’achève, les rires moqueurs de ces Dieux accom­pagnent la mélo­pée chan­tée par Orphée, nous bri­sant nous aussi le cœur.

La pie sait quand nous des­cen­drons dans la tombe et n’ignore rien de notre nais­sance. Un pour le cha­grin, deux pour la joie, trois pour la fille, et quatre pour un gar­çon… démon, démon, je te défie…“
Le chant d’Orphée est par­tout, l’entendez-vous ?

franck bous­sard

David Almond, La Chan­son d’Orphée, Gal­li­mard Jeu­nesse, 2017, 283 p. – 15,00 €.

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