Guillaume Chérel, Un bon écrivain est un écrivain mort

Un roman hors-normes, décoiffant…

Un mil­liar­daire, qui se cache sous le pseu­do­nyme de Un Cognito, est le nou­veau pro­prié­taire du monas­tère de Saorge dans le vil­lage de Fontan-Saorge. Il l’a fait réno­ver pour en faire une rési­dence d’écrivains luxueuse et ultra-moderne. Il convie, pour une ren­contre lit­té­raire, Augus­tin Tra­que­nard, l’animateur cultu­rel et dix écri­vains très média­tiques. Cha­cun a reçu un cour­rier mys­té­rieux mais très inci­ta­tif. Convergent alors dans la val­lée des Mer­veilles Amé­lie Latombe, Chris­tine Légo, Kathy Pod­col, Tatiana de Rose­ray, Del­phine Végane, Fré­dé­ric Bel­vé­dère, Jean de Mois­son, Yann Moite, David Miko­nos et Michel Ouz­bek.
À leur arri­vée, ils sont accueillis par Fran­cesco, le guide du monas­tère. Après la visite des lieux, l’attribution des chambres, un rafraî­chis­se­ment, c’est le débat avant le dîner. Seule­ment, l’animateur sort vite de son rôle de “pas­seur de plats” pour s’en prendre ver­te­ment à la per­son­na­lité et aux écrits des invi­tés. Puis, il quitte la salle lais­sant tout le monde en plan. La ren­contre tourne court !
L’excellent repas pré­paré par Patri­cia Bar­rée, à la fois excel­lente cordon-bleu et médium, met tout le monde de bonne humeur jusqu’à ce qu’une voix résonne et accuse cha­cun de crimes, conti­nuant par l’énonciation d’une étrange comp­tine qui com­mençe par : “Dix grands écri­vains s’en furent prendre leur repas” pour se ter­mi­ner par : “N’en resta plus… du tout.”

Le contenu de l’intrigue est résumé dans le titre. Tou­te­fois, bien que celle-ci soit menée agréa­ble­ment, l’intérêt essen­tiel du roman n’est pas à cher­cher dans une his­toire tor­tueuse, construite avec mille res­sorts et péri­pé­ties. L’importance de ce roman réside dans la des­crip­tion sans fards, sans langue de bois, du monde lit­té­raire, des­crip­tion menée avec beau­coup d’humour, d’entrain et de dyna­misme. Par exemple : “Fran­cesco avait décou­vert que la jalou­sie entre écri­vains était le pire fléau de ce micro­cosme condes­cen­dant, étri­qué, auto-satisfait, imbu de lui-même, où tout le monde se connais­sait et se coop­tait sans se lire et en fai­sant sem­blant de s’apprécier. C’était la conju­ra­tion des hypo­crites.
Il brosse des por­traits d’une grande jus­tesse, sans com­plai­sance mais avec, cepen­dant, une cer­taine ten­dresse pour ce milieu qu’il dépeint. Mais Guillaume Ché­rel se met éga­le­ment en scène comme : “…un « écri­vain injus­te­ment méconnu » auto­pro­clamé qui attri­buait com­mo­dé­ment la modes­tie de ses ventes à son absence de fla­gor­ne­rie, et rageait régu­liè­re­ment devant le suc­cès de “moins-doués-mais-mieux-placés que lui.”

À par­tir du groupe réuni dans les lieux, il dévoile les télé­cri­vains, ces roman­ciers qui, pour exis­ter, font tout (et n’importe quoi !) pour pas­ser à la télé­vi­sion… et y res­ter. Il décrit les pos­tures, les pro­vo­ca­tions. C’est ainsi que nombre des per­son­nages du récit s’inscrivent dans la « petite lucarne » comme chro­ni­queur puis, le graal !, comme animateur-présentateur. Le cadre du récit, et presque tous les per­son­nages sont authen­tiques même s’ils appa­raissent sous un masque bien trans­pa­rent.
L’auteur a eu l’idée de ce roman hors-norme, décoif­fant, sur les lieux mêmes qu’il décrits alors qu’il plai­san­tait avec le vrai guide Fran­cesco, dans la cui­sine du monas­tère où il séjour­nait pour trois mois. Il fait inter­ve­nir le neveu d’Oscar Wilde, Arthur Cra­van, un colosse qui se pré­sen­tait comme le poète aux che­veux les plus courts du monde, à une époque où les che­veux se por­taient longs, très longs parmi les ” intellectuels”.

Guillaume Ché­rel ne nie pas une large conjonc­tion avec un clas­sique des clas­siques en matière d’intrigue, mais en auteur aty­pique, il offre un roman jubi­la­toire, presque pro­vo­ca­teur, un texte servi par une belle plume, beau­coup d’humour et un sens aigu de l’observation.

serge per­raud

Guillaume Ché­rel, Un bon écri­vain est un écri­vain mort, J’Ai Lu n° 11966, coll. “Thril­ler”, mars 2018, 256 p. – 8,00 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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