Jean-Michel Delacomptée est un écrivain qui s’avoue “laborieux“, avec une modestie qui lui attire d’emblée notre sympathie. Son souci de la langue est indissociable du fait que, “Sisyphe au petit pied, [il] la possèd[e] comme la montagne à gravir en poussant son rocher“ (p. 24). Autrement dit, il en reste préoccupé à tout moment, cherchant le mot juste, d’où la kyrielle d’observations qui s’imposent à lui quant à la baisse du niveau de la littérature française et du français courant, un phénomène qui n’est pas récent mais qui prend des proportions effarantes ces dernières années.
L’auteur cite (entre autres) un exemple éclairant : en 1941, lorsque Vercors écrivit Le Silence de la mer, comme en 1947, lorsque Melville l’adapta pour le grand écran, il était naturel de penser que la France était le pays de la littérature, par opposition avec l’Allemagne, pays de la musique ; de nos jours, cette opinion n’a plus cours, car “la France ne se distingue plus du reste du monde par sa production littéraire (ni par son cinéma, ni par ses productions artistiques en général)“(pp. 56–57). Même si l’on juge cette dernière affirmation outrancière – dans la mesure où la littérature française reste l’une des plus abondamment traduites à travers le monde, tandis que le cinéma français conserve sa seconde place derrière l’américain -, on ne saurait nier la dégradation qu’observe Jean-Michel Delacomptée. Et nous sommes entièrement convaincus par l’explication qu’il en donne, puisée chez Pierre Nora : il s’agit d’un processus de “suicide identitaire“ sous l’égide de l’Etat, celui-ci ayant décidé de remplacer les “humanités classiques“ par des “formes nouvelles d’apprentissage de l’histoire et des lettres“ (pp. 57–58).
Après avoir retrace brièvement l’histoire de la langue française, pour montrer avec pertinence qu’elle est, depuis toujours, “une langue écrite à vocation esthétique“, et que l’expression orale ne précède pas, mais suit l’écrit (p. 61), l’auteur examine divers aspects de la production littéraire et de l’expression courante, pour faire nombre d’observations affligeantes.
En tant que critique littéraire, je suis particulièrement sensible à ce passage : “Les médias chassent en meute. Qu’un ouvrage fasse la une, bon ou mauvais, tous accourent. Le panurgisme fait l’événement. Il crée le succès, dont dépend la notoriété, qui décide de la qualité. Ou c’est l’inverse, la notoriété crée le succès, sans égards pour la qualité. Le nom tient lieu de mérite, le “vu à la télé“ remplace le génie. Des œuvres banales passent pour des joyaux, des auteurs honorables pour des prodiges.“ (p. 65). S’il ne suffit – hélas ! – pas d’un livre pour inverser la tendance, ce n’est jamais inutile de faire ce qu’on peut pour réveiller l’opinion publique.
Je vous recommande donc l’ouvrage de Jean-Michel Delacomptée, à lire et à offrir, en espérant que ce cri d’alarme finisse par avoir la résonance qu’il mérite.
agathe de lastyns
Jean-Michel Delacomptée, Notre langue française, Fayard, février 2018, 207 p. – 18,00 €.