Un spectacle monstratif qui ne donne envie de rien
Sur le plateau, un grand écran blanc en fond de scène. Des chaises alignées devant. Au centre, des bouteilles d’eau. Dans un climat qui ressemble à celui des répétitions d’une pièce, une actrice se tient debout et s’adresse en son nom au public. La comédienne témoigne de la genèse de la pièce, supposée tisser des liens entre les souvenirs dramatiques des années de formation de Wajdi Mouawad à Montréal et la situation atonique de la jeunesse d’aujourd’hui. Après un exposé trop long, débordant de détails, les comédiens la rejoignent pour former un groupe assumant une parole unique.
Leurs propos proférés, scandés s’emballent vite, pour constituer un cri dont l’intention est manifestement de saturer l’espace sonore et mental du spectateur. On assiste ensuite à une chorégraphie un peu automate, qui ouvre sur des réminiscences de tranches de vie. À terme, la représentation prend la forme d’un conte auquel on eût volontiers accordé crédit, si l’écrasement des intentions n’avait précédemment tari notre prétention à rêver, à nous enthousiasmer.
Dans une attitude un peu démiurgique et avec une prétention narrative, Wajdi Mouawad agence en effet des gesticulations supposées spontanées, des dialogues censés initiatiques, faits de saillies désespérées ou sordides. À travers des propositions ramenées à leurs syllabes ou des discussions souvent ponctuées d’invectives stériles, il en est comme si nous assistions à l’auto-dénégation du discours. On paraît dire le rien en déniant à la parole la moindre valeur. De la musique électronique, un peu garage, donne aux comédiens l’occasion de se déhancher sans fard, dans une danse stochastique durant laquelle les dimensions du plateau sont réduites par l’avancée de l’écran de fond de scène, jusqu’à acculer les personnages à sauter.
Quelques moments agréables, dus essentiellement à une scénographie astucieuse. Un propos condescendant, non constructif, décrivant une jeunesse empêtrée dans les atermoiements qui ne sont autres que ceux de l’auteur face à la création. On paraît essayer de raconter l’absence d’histoire, mais sans ironie ni dérision. Il en reste un spectacle monstratif, qui ne donne envie de rien, comme une performance qui chercherait son absence d’objet.
christophe giolito
Notre innocence
Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
avec
Emmanuel Besnault, Maxence Bod, Mohamed Bouadla, Sarah Brannens, Théodora Breux, Hayet Darwich, Lucie Digout, Jade Fortineau, Julie Julien, Maxime Le Gac‑Olanié, Hatice Özer, Lisa Perrio, Simon Rembado, Charles Segard‑Noirclère, Paul Toucang, Étienne Lou, Mounia Zahzam, Yuriy Zavalnyouk, et , Inès Combier, Aimée Mouawad, Céleste Segard (en alternance)
Assistanat à la mise en scène Vanessa Bonnet ; musique originale Pascal Sangla ; scénographie Clémentine Dercq ; lumières Gilles Thomain ; costumes Isabelle Flosi ; son Émile Bernard, Sylvère Caton ; régie Laurie Barrère.
du 14 mars au 12 avril 2018 du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
création à La Colline représentation supplémentaire le jeudi 12 avril à 20h30
Grand Théâtre durée 2h10
Production La Colline – théâtre national coproduction Mars, Mons Arts de la Scène avec la participation artistique du Jeune théâtre national parution de la première version aux éditions Leméac / Actes Sud-Papiers création à La Colline.