Nicolas Le Roux, Un régicide au nom de Dieu – L’assassinat d’Henri III (1er août 1589)

Une belle relec­ture des années de la Ligue…

Henri III hérite, en 1575, d’un royaume où les guerres civiles com­men­cées au début des années 1560, ont ébranlé le capi­tal sym­bo­lique du sou­ve­rain. L’onction du sacre fai­sait des diri­geants poli­tiques des êtres à part qui, rece­vant l’investiture divine, étaient à la fois l’incarnation de l’État et l’intermédiaire direct entre le peuple et le Dieu des catho­liques. Les Hugue­nots refusent cette iden­ti­fi­ca­tion du roi au Christ. Henri III, conscient de cette situa­tion, fait tout pour mon­trer sa foi pro­fonde.
Les ten­sions s’accroissent encore lorsqu’en 1584 meurt le jeune duc d’Anjou, frère cadet du sou­ve­rain, héri­tier du trône puisque celui-ci n’a pas de fils. En effet, selon les règles de la loi salique, c’est Henri de Bour­bon, des­cen­dant du roi Louis IX par son père Antoine de Bour­bon, qui devient le suc­ces­seur légi­time. Or, les catho­liques ne peuvent conce­voir qu’un indi­vidu de la reli­gion réfor­mée puisse accé­der au trône. La Sainte Ligue redouble ses actions et entre en guerre ouverte avec Henri III. Celui-ci est contraint de recon­qué­rir son royaume. En juillet 1589, il est à Saint-Cloud d’où il assiège Paris tenu par les ligueurs depuis plus d’un an. Une rumeur cir­cule, des indi­vi­dus en veulent à la vie du roi. Mais les aver­tis­se­ments res­tent vains car depuis les temps méro­vin­giens aucun monarque n’a été assas­siné. L’investiture divine les a pro­té­gés du régi­cide.
Jacques Clé­ment, un moi­nillon Jaco­bin, est muni d’un sauf-conduit éta­bli par un fidèle du roi enfermé au Louvre. Il s’introduit, le 1er août, auprès d’Henri III au pré­texte de lui livrer des infor­ma­tions confi­den­tielles sur les par­ti­sans qu’il pos­sède dans la ville et l’endroit où il fau­drait atta­quer. En pré­sence du monarque, le moine sort un poi­gnard de sa manche et frappe à l’abdomen. Henri sort l’arme de sa bles­sure et blesse son agres­seur au visage. Un groupe se pré­ci­pite et dans la bous­cu­lade qui s’ensuit, Jacques Clé­ment est tué. Celui qui a porté le coup mor­tel reste encore aujourd’hui inconnu.
Bien que les intes­tins soient per­fo­rés, les “méde­cins” admi­nistrent un lave­ment. Et le 2 août, Henri III s’éteint dans d’affreuses dou­leurs. La veille, il a reçu la visite d’Henri de Navarre, le dési­gnant comme son suc­ces­seur légi­time. La dépouille entame un périple indigne de celle d’un roi. Per­sonne ne se pré­ci­pite pour démas­quer les ins­ti­ga­teurs du régi­cide, sachant que le Jaco­bin n’a pu agir seul. Il était d’apparence ridi­cule, moqué par ses com­pa­gnons de couvent. La reine Louise s’attachera à faire recher­cher et châ­tier les cou­pables, à faire don­ner au roi une sépul­ture décente. Mais le Béar­nais, mal­gré ses pro­messes, res­tera très pas­sif et n’ira jamais au som­met du com­plot. Seuls quelques sous-fifres en feront les frais.
L’hypothèse la plus plau­sible oriente le pro­jec­teur vers la mai­son de Lor­raine et vers la duchesse de Mont­pen­sier qui aurait mani­pulé le moine.

Les Ligueurs jus­ti­fie­ront leur crime en pré­sen­tant Henri III comme un tyran. Celui-ci n’était-il pas menacé d’excommunication par Sixte Quint parce qu’il rete­nait pri­son­nier deux meneurs de la Ligue ? Le futur Henri IV a encore bien du che­min à faire avant d’imposer sa légi­ti­mité. Mais il usera d’une grande habi­lité, tant mili­taire que diplo­ma­tique, pour sor­tir le royaume du chaos et réta­blir une har­mo­nie civile.
La mort d’Henri III n’est pas sans de pro­fondes consé­quences sur la repré­sen­ta­tion de la per­sonne royale et sa légi­ti­mité. Il se voyait déten­teur d’un minis­tère sacré, mais insé­pa­rable de ses sujets. Avec Henri IV, la figure du roi prend une inves­ti­ture divine, une dimen­sion d’absolu que ses suc­ces­seurs por­te­ront au paroxysme. En toile de fond, l’auteur esquisse la lutte sour­noise de l’Église qui entend bien être la seule ins­ti­tu­tion en contact direct avec Dieu.

Nico­las Le Roux réa­lise un remar­quable tra­vail, éclai­rant les sources des conflits, les inté­rêts en jeu, les ambi­tions, les faits et les actes, leurs inter­fé­rences et leurs inter­ac­tions que relient les volon­tés et les pou­voirs comme ce coup d’État de Blois quand Henri III fait assas­si­ner le duc de Guise. L’auteur replace, dans son contexte un des­tin et la per­son­na­lité d’un roi que l’Histoire offi­cielle a quelque peu ter­nie.
La déter­mi­na­tion de Louis XVIII, au XIXe siècle, de valo­ri­ser à tout prix Henri de Navarre, le fon­da­teur de la lignée des Bour­bon, n’est pas étran­gère à cette situa­tion. Cepen­dant, il faut recon­naître les grandes qua­li­tés de ce Béar­nais qui sut si bien apai­ser ces guerres fra­tri­cides… bien momen­ta­né­ment, hélas !

serge per­raud

Nico­las Le Roux, Un régi­cide au nom de DieuL’assassinat d’Henri III (1er août 1589), Folio coll His­toire n°272, jan­vier 2018, 595 p. – 10,50 €.

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