Une belle relecture des années de la Ligue…
Henri III hérite, en 1575, d’un royaume où les guerres civiles commencées au début des années 1560, ont ébranlé le capital symbolique du souverain. L’onction du sacre faisait des dirigeants politiques des êtres à part qui, recevant l’investiture divine, étaient à la fois l’incarnation de l’État et l’intermédiaire direct entre le peuple et le Dieu des catholiques. Les Huguenots refusent cette identification du roi au Christ. Henri III, conscient de cette situation, fait tout pour montrer sa foi profonde.
Les tensions s’accroissent encore lorsqu’en 1584 meurt le jeune duc d’Anjou, frère cadet du souverain, héritier du trône puisque celui-ci n’a pas de fils. En effet, selon les règles de la loi salique, c’est Henri de Bourbon, descendant du roi Louis IX par son père Antoine de Bourbon, qui devient le successeur légitime. Or, les catholiques ne peuvent concevoir qu’un individu de la religion réformée puisse accéder au trône. La Sainte Ligue redouble ses actions et entre en guerre ouverte avec Henri III. Celui-ci est contraint de reconquérir son royaume. En juillet 1589, il est à Saint-Cloud d’où il assiège Paris tenu par les ligueurs depuis plus d’un an. Une rumeur circule, des individus en veulent à la vie du roi. Mais les avertissements restent vains car depuis les temps mérovingiens aucun monarque n’a été assassiné. L’investiture divine les a protégés du régicide.
Jacques Clément, un moinillon Jacobin, est muni d’un sauf-conduit établi par un fidèle du roi enfermé au Louvre. Il s’introduit, le 1er août, auprès d’Henri III au prétexte de lui livrer des informations confidentielles sur les partisans qu’il possède dans la ville et l’endroit où il faudrait attaquer. En présence du monarque, le moine sort un poignard de sa manche et frappe à l’abdomen. Henri sort l’arme de sa blessure et blesse son agresseur au visage. Un groupe se précipite et dans la bousculade qui s’ensuit, Jacques Clément est tué. Celui qui a porté le coup mortel reste encore aujourd’hui inconnu.
Bien que les intestins soient perforés, les “médecins” administrent un lavement. Et le 2 août, Henri III s’éteint dans d’affreuses douleurs. La veille, il a reçu la visite d’Henri de Navarre, le désignant comme son successeur légitime. La dépouille entame un périple indigne de celle d’un roi. Personne ne se précipite pour démasquer les instigateurs du régicide, sachant que le Jacobin n’a pu agir seul. Il était d’apparence ridicule, moqué par ses compagnons de couvent. La reine Louise s’attachera à faire rechercher et châtier les coupables, à faire donner au roi une sépulture décente. Mais le Béarnais, malgré ses promesses, restera très passif et n’ira jamais au sommet du complot. Seuls quelques sous-fifres en feront les frais.
L’hypothèse la plus plausible oriente le projecteur vers la maison de Lorraine et vers la duchesse de Montpensier qui aurait manipulé le moine.
Les Ligueurs justifieront leur crime en présentant Henri III comme un tyran. Celui-ci n’était-il pas menacé d’excommunication par Sixte Quint parce qu’il retenait prisonnier deux meneurs de la Ligue ? Le futur Henri IV a encore bien du chemin à faire avant d’imposer sa légitimité. Mais il usera d’une grande habilité, tant militaire que diplomatique, pour sortir le royaume du chaos et rétablir une harmonie civile.
La mort d’Henri III n’est pas sans de profondes conséquences sur la représentation de la personne royale et sa légitimité. Il se voyait détenteur d’un ministère sacré, mais inséparable de ses sujets. Avec Henri IV, la figure du roi prend une investiture divine, une dimension d’absolu que ses successeurs porteront au paroxysme. En toile de fond, l’auteur esquisse la lutte sournoise de l’Église qui entend bien être la seule institution en contact direct avec Dieu.
Nicolas Le Roux réalise un remarquable travail, éclairant les sources des conflits, les intérêts en jeu, les ambitions, les faits et les actes, leurs interférences et leurs interactions que relient les volontés et les pouvoirs comme ce coup d’État de Blois quand Henri III fait assassiner le duc de Guise. L’auteur replace, dans son contexte un destin et la personnalité d’un roi que l’Histoire officielle a quelque peu ternie.
La détermination de Louis XVIII, au XIXe siècle, de valoriser à tout prix Henri de Navarre, le fondateur de la lignée des Bourbon, n’est pas étrangère à cette situation. Cependant, il faut reconnaître les grandes qualités de ce Béarnais qui sut si bien apaiser ces guerres fratricides… bien momentanément, hélas !
serge perraud
Nicolas Le Roux, Un régicide au nom de Dieu – L’assassinat d’Henri III (1er août 1589), Folio coll Histoire n°272, janvier 2018, 595 p. – 10,50 €.