La représentation de la remise en cause de la représentation
Le comédien entre de façon impromptue ; affable, il remercie l’ouvreuse. Puis, soigneusement, avec un brin de solennité, il prend la pose, à la table. Intentionnellement, avec détermination, il soulève des questions métaphysiques dont on devine, par leur enchaînement, qu’elles ne recevront pas de réponse. Le propos est posé, un brin perché, il adopte un ton pédagogique et propitiatoire. Un rien doctrinal, le personnage professe son enseignement.
L’invective cache une argumentation à prétention démonstrative. L’origine des spectacles est idolâtrie. Dont acte. Les mises en scène sont l’occasion de célébrer le règne de Bacchus et d’Aphrodite. Soit. Les arguments finissent par s’envenimer, condamnant toute représentation, toute image. Tertullien nous cantonnerait à la claustration, sinon à la mort.
On assiste à une explication manichéenne de l’ordre du monde qui entend constituer à partir de la dénonciation des plaisirs une apologie de la religion chrétienne. La mise en abyme constituée par la représentation de la remise en cause de la représentation ne manque pas de jeter sur le propos une lumière ironique. La conjuration un peu grandiloquente des illusions renvoie à la valeur de la vérité, définie exclusivement dans sa pureté, qu’on ne peut atteindre que dans le consistoire privé de l’âme, elle seule à même de donner à voir, voire à représenter, le verbe dans son inamissible immutabilité.
Le sermon sévère confinant à l’interdiction de toute monstration est poussé à son point de rupture par la délectation du spectacle de la rédemption, la jubilation du jugement dernier.
A terme, Hervé Briaux propose un « bord de scène », occasion d’expliciter les principes de son adaptation, de faire partager son intention, de se livrer à quelques échanges avec le public. Quelque peu surpris par la forme spontanée du propos, les spectateurs reconnaissent leur plaisir d’avoir découvert un texte ou un auteur inattendu(s) au théâtre, dans une mise en scène discrète mais efficace.
christophe giolito
Tertullien
(d’après le De Spectaculis de Tertullien)
mise en scène Patrick Pineau, adaptation et avec Hervé Briaux
Lumière : Christian Pinaud ; son Nicolas Daussy.
Au Théâtre de Poche Montparnasse, 75, boulevard de Montparnasse, 75006 Paris Tél 01 45 44 50 21.
http://www.theatredepoche-montparnasse.com/project/tertullien-contre-les-spectacles/
Du 18 janvier 2018 au 24 mars 2014.
Du jeudi au samedi à 19h, le dimanche à 17h30.