Pour Bertrand Westphal, « Il n’est pas de meilleure manière de verrouiller le monde que d’en surveiller la parole poétique et d’en maîtriser la carte… Le canon se déploie non comme un territoire – ce serait la bibliothèque – mais comme une carte servant à entreprendre un certain voyage au sein d’un territoire… ». L’auteur, dans ce but, ne se veut pas seulement taupe mais tout autant Écureuil (celui de Blaise Cendrars).
Il décortique comme des noisettes les littératures et tous les genres pour montrer comment de tels « accessoires » scripturaux façonnent et interrogent ce concept – parfois flou, parfois flot – de globalisation. Et ce, à travers les constructions, déconstructions et reconstructions de ses histoires et de sa géographie. Celle-ci a priori devrait devenir une et indivisible. Mais il y a loin de la coupe littéraire aux lèvres du monde tel qu’il demeure.
L’auteur est en un tel projet forcément encyclopédique : c’est un Diderot postmoderne ou un Warburg des lettres. Il n’hésite pas à faire étalage de son éruditions aux azimuts multiples. Manière de cautionner ses dires. A l’ombre de Cendrars (qui reste en tant que voyageur des monde et poète son modèle absolu), le savant scripteur et descripteur devient le prescripteur d’un panorama global d’une littérature désormais globale mais où, tout compte fait, il y aurait peu de nouveauté.
Sous des titres animaliers (La taupe, le dragon, etc.) qui doivent autant à La Fontaine l’occidental qu’aux littératures les plus foraines car extrême-orientales, l’auteur nous fait l’hôte de ses jungles et de ses bois. C’est brillant, subjectif (en dépit d’une logique démonstrative) mais l’ensemble se mange sans faim même si parfois des mets de résistance sont plus lourdingues que d’autres. Un Alka Selzer d’humour et tout passe. Et l’auteur prouve comment les exilés deviennent des natifs plus originaires que ceux des pays et des littératures qu’ils ont fait leurs. Manière de tordre le cou à des idées proche du nouveau FN comme du nouveau LR.
Néanmoins, à l’ombre du planétarisme, le changement de langue risque de ne pas forcément faire jaillir de nouveaux Beckett choisissant la français car « c’est une langue plus pauvre que l’anglais ». La création de la nouvelle tour de Babel (comme l’ancienne) ne va pas sans problème. Toutefois et désormais, ce n’est pas elle qui risque de s’effondrer mais ses constructeurs. Sous couvert d’une seule langue référentielle exit probablement les poètes sauf s’ils ont la capacité à se coucher et devenir carpettes.
La taupe bientôt ne sera pas seulement aveugle mais muette. Et le « Château » de Kafka va devenir celui des damnés de la terre. Certes, Bertrand Westphal trouve des raisons d’espérer. Mais en ce sens est-il encore prophète ? Un doute subsiste même s’il fait de son gai savoir une manière de prétendre sortir de la « catastrophe » chère à Virilio. Toutefois les « arcs » que l’auteur propose entre différents champs de connaissance littéraire ou scientifique sont plus spectaculaires que probants.
Mais une telle approche a le mérite d’exister. A chacun d’y trouver sa vérité relative et quantique entre Borgès et Kafka, Max Planck et Einstein. A chacun aussi d’espérer la construction de son terrier idéal en réponse à celle qu’apporte la taupe-less en sa perception du réel.
jean-paul gavard-perret
Bertrand Westphal, La cage des méridiens, Editions de Minuit, 2018.