L’écriture de Céline Walter est prenante. Elle met en prise directe « une histoire qui ne se fera » et un verbe qui n’aura pas de nom. Il y a là les frissons d’un être mais tout joue dans une feinte de proximité. Celle-ci ne peut en effet se réaliser. Celle qui l’espère (vraiment ?) est partagée entre un certain narcissisme et un altruisme qui ne peuvent pas « cadrer ». D’où des malentendus notoires. Ils semblent traumatiques mais pourtant se distribuent avec une forme de détachement. Celui qu’apprennent les femmes à qui est dédicacé ce livre : « celle qu’on n’embrasse pas ».
Un tel manque évite toute emphase. Mais Céline Walter refuse tout autant le pathos. Le récit est presque froid et pourtant les baisers « dans le vent » de l’héroïne pèsent de tout leur poids. Certes, elle s’auto-flagelle, prend un plaisir sournois à se taxer d’animal qui croupit en ce qu’elle prend pour des « cochonneries » mais qui n’en sont pas. De même elle prétend à une forme d’exagération pratique : il ne s’agit que d’un exercice de pudeur aussi drôle (enfin presque) qu’attachant. Celle qui aime à se détester pointe, en elle, partout où ça fait mal. Où elle croit toucher l’irréparable perdure un mystère moins opaque qu’il n’y paraît.
Au fil du texte, cette héroïne surprenante, à la fois proche et lointaine, infuse comme un bon thé divin. Elle ne le sait pas et c’est bien là son charme. Ignorance et confusion sont occultées par le chant sinon de certitudes du moins d’hypothèses vagues. Des printemps partent et reviennent face à celle qui se voudrait le « quelqu’un de bien » que, et en l’ignorant, elle est. Et beaucoup plus que la majorité de ses sœurs et de ses frères.
Une telle « bonne pâte » rumine plus son réel que sa rancœur. Avec en elle ce grand besoin d’amour qu’accroît cette mauvaise conseillère nommée solitude. Jusqu’à en perdre son verbe, sous la pluie d’hiver comme celle de l’été. En codicille à Si et son « je » intime se substitue Sauve en porte dérobée. Une Diane chasseresse remplace la première héroïne. Un homme passe, proche de donner son baiser à la lépreuse. Mais là encore, la proximité fait le lit du lointain.
Il n’existera pas de chambre intime. Un hall et rien de plus. Sinon la rue où les ombres qui pourraient se rencontrer ne font que se croiser, magiques, irréelles et sans doute inaltérables.
jean-paul gavard-perret
Céline Walter, Si, Editions Tarmac, Nancy, 2018, 44 p. - 10,00 €.