Stéphane Pair propose une trame romanesque où il passe de personnage en personnage, proposant une sorte de relais, construisant au fil du récit une fresque sur l’île de la Guadeloupe et sur une partie de sa population. Chacun des protagonistes raconte sa vie, sa version des faits, ses états d’âme, ses espoirs, son parcours, les buts qu’il poursuit et les motivations qui le poussent.
Le romancier place son intrigue dans la Guadeloupe profonde, détaille l’île et ses bourgades, les lieux où vivent les autochtones, les endroits désertés, abandonnés, propices aux trafics, les refuges des drogués, les squats des toxicos… Il néglige les enclaves touristiques avec ces structures hôtelières toutes identiques, offrant les mêmes services.
Jimmy, dix ans, a trouvé le corps d’une femme blanche, nue, sur une grève peu fréquentée. Comme le bras de la morte désignait la mangrove proche, il a traîné le cadavre à l’abri. Il ne dit rien à personne sauf à Steve, son copain, lui montrant la culotte de la femme et concoctant une fable en s’inspirant des films de l’Oncle. L’Oncle abuse de Gina, la sœur aînée du Jimmy. Quand il rentre, il entend celle-ci, sur le perron, murmurer dans une attitude de prière : “Je veux mourir. Le plus vite qui soit…“
Gardé, le colonel de gendarmerie, est chargé de l’enquête quand le corps finit par être découvert. Il a mis Aymé en cellule, un vieil homme qui a beaucoup fait parler de lui en 1967, quand son fils est mort sous les balles de la répression policière contre les indépendantistes guadeloupéens. Privé de rhum, Aymé finit par lâcher “Tyrolien”, le nom de famille de l’un des hommes qu’il a croisé en sortant de la mangrove.
Le père affirme ne pas avoir vu son fils, Aristide, dit Carotte ou Vegeta, un dealer de crack, depuis deux mois. Ce dernier est en relation avec Tavarès “Fat” Newton, un armateur Bahaméen. Ils concoctent un trafic, pour quatre-vingt-quinze millions de dollars, sur la Guadeloupe. Tavarès est amoureux de Lize, une jeune américaine d’une grande beauté. Mais Vegeta, au premier regard sur le yacht du Bahaméen…
Gardé traque, avec plus ou moins de bonheur, les différents trafiquants de l’île jusqu’à…
Le récit plonge dans le cœur du pays, fait part des croyances, des légendes, des maléfices. L’auteur donne la parole à celles qui sont considérées comme des sorcières, celles qui invoquent les esprits, ceux des anciens et ceux de divinités plus ou moins obscures. Il décrit la mangrove, cet écosystème particulier qui donne une spécificité à l’île. Parallèlement à cette plongée dans une population qui peine à vivre, il met en scène un rationalisme plus appuyé des gendarmes qui tentent de chercher la vérité.
Le romancier fait une large part aux trafics de drogues diverses et décrit l’existence de cette population de dealers et de toxicomanes. Dans ce décor, qui est loin d’être enchanteur, il tisse une belle histoire sentimentale et concocte une intrigue subtilement menée, faisant croître habilement la tension. Le style est tonique, servi par une belle écriture qui entremêle nombre de vocables locaux.
Élastique nègre se révèle une belle découverte tant par son sujet, par son cadre peu commun, que par le traitement de son intrigue et par sa galerie de personnages singuliers, hauts en couleur.
serge perraud
Stéphane Pair, Élastique nègre, Éditions 10/18, coll. “Grands Détectives” n° 5289, février 2018, 264 p. – 7,50 €.