Bertrand de Saint Vincent, Tout Paris

L’art et la manière de tour­ner en ridi­cule ou de clouer au pilori

Les chro­ni­queurs mon­dains dignes de leur nom sont une espèce fran­çaise en voie de dis­pa­ri­tion, en ce temps où les maga­zines “people“ pul­lulent ; à y regar­der de près, on n’en trouve plus qu’un, pré­ci­sé­ment Ber­trand de Saint Vincent. Si vous êtes en manque de lec­ture à la fois drôle, poti­nière et bien enle­vée, ses articles trou­vables dans Le Figaro ne risquent guère de vous déce­voir que par leur briè­veté.
C’est sans doute la rai­son d’être de ce livre où il en a réuni deux cents, de quoi vous faire pas­ser toute une fin de semaine à rire — ou à grin­cer des dents, dans le cas où vous seriez de ses vic­times, mais elles sont si nom­breuses que même les mieux étrillées pour­raient se conso­ler en comp­tant les piques qui en visent d’autres.

De fait, Ber­trand de Saint Vincent a l’art et la manière de tour­ner en ridi­cule ou de clouer au pilori d’une flé­chette n’importe qui, de droite ou de gauche (caviar), avec une pré­fé­rence natu­relle pour les puis­sants et les vedettes, dont il sélec­tionne les pro­pos riches en humour invo­lon­taire, sans oublier les ano­nymes, tel ce pro­mo­teur immo­bi­lier par­lant du Tour de France : “Ça allie les deux choses que j’aime le plus, dit-il, le sport et la drogue. Il est sympa et concis.” (p. 351).
Deux phrases du chro­ni­queur font sou­vent une bro­chette comme celle-ci, au sujet d’une vente aux enchères cari­ta­tive : “Les lots sont ori­gi­naux : une leçon de phi­lo­so­phie avec Luc Ferry, un rôle muet avec Dany Boon. J’aimerais don­ner de l’argent pour qu’on ne me donne rien, sou­pire Phi­lip­pine de Roth­schild.” (p. 140).
Mais il excelle aussi dans les for­mules moins lapi­daires, et dans les petits récits tels que “La nuit des morts-vivants”, sur la fête des anciens d’Hara-Kiri, “Reine d’un soir”, sur un dîner select en com­pa­gnie d’Isabelle Adjani, ou “Feu d’artifice”, sur un concert d’Arielle Dom­basle. Ayant lu tout cela, on lui fait confiance pour nous expli­quer “Com­ment être à la mode”, sans s’étonner de se voir recom­man­der d’être “une femme, de pré­fé­rence, libé­rée, cela va de soi ; au moins des contraintes finan­cières” (p. 353).
Effec­ti­ve­ment, on s’aperçoit que les hommes, même libé­rés de ces contraintes-là, béné­fi­cient rare­ment de l’indulgence que Ber­trand de Saint Vincent réserve à une dou­zaine de dames (sédui­santes). Celui qui s’en sort le mieux, c’est Jean Reno — oui, vous avez bien lu, le chro­ni­queur féroce éprouve de l’admiration pour Jean Reno. On aurait cru Saint Vincent inca­pable d’une telle faute de goût (et de juge­ment), de la taille d’une armoire nor­mande, mais il faut bien que cha­cun ait ses points faibles. Après tout, un jour­na­liste qui croit que Paul Gégauff était réa­li­sa­teur (p. 170) n’est pas censé avoir les mêmes cri­tères qu’un ciné­phile en matière d’acteurs.

On trouve moins par­don­nable (et plus triste, car il n’y a même pas moyen d’en rire) qu’en dehors de Proust et Fitz­ge­rald, réfé­rences obli­gées de tout chro­ni­queur mon­dain, Saint Vincent ne connaisse, en matière de lit­té­ra­ture, pas grand-chose d’autre que les Hus­sards et les contem­po­rains à gros tirages, ce qui lui per­met de tenir Michel Déon pour un grand écri­vain (sans doute par com­pa­rai­son avec Chris­tine Orban ou Amé­lie Nothomb).
Ayant noté qu’il vénère éga­le­ment Phi­lippe Tes­son, son ancien patron et actuel col­lègue, on se rap­pelle cer­taines pages de Bal­zac sur le jour­na­lisme (dans Illu­sions per­dues et Splen­deurs et misères des cour­ti­sanes), et l’on sou­haite vive­ment que le seul chro­ni­queur mon­dain digne de ce nom les (re)lise, d’ici à deux ou trois ans, le temps d’assister à quelques cen­taines d’autres soi­rées et d’en tirer un nou­veau recueil — l’optique bal­za­cienne lui évi­te­rait de per­sis­ter dans cer­taines erreurs.

a. de lastyns

 

   
 

Ber­trand de Saint Vincent, Tout Paris, Gras­set, mars 2011, 491 p.- 21,50 €

 
     

 

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