La langue de Jocelyne Desverchière est très influencée par l’écriture scénaristique. Il est vrai que la romancière a travaillé pour de nombreux cinéastes (dont Olivier Assayas, Brigitte Sy, Les frères Larrieu, Valérie Mréjen, Jeanne Waltz) et a réalisé deux courts métrage. Après un premier roman original dans le monde des adultes et leurs jeux d’amour hasardeux (Première à éclairer la nuit), elle plonge ici dans celui de l’enfance pour évoquer selon un angle particulier ce qui peut se définir tout simplement comme une histoire triste.
Son narrateur a six ans. Il dit ce qu’il voit, ressent, comprend tant bien que mal. Il n’a pas encore l’âge dit de raison, pour autant l’auteure ne le fait ni trop intelligent ni ravi de la crèche. Le style est bref, ramassé et se rapproche à ce titre de l’enfance et d’un enfant aimant et aimé au sein d’une famille d’abord sans histoire avant qu’une « pusillanimité » ou les avatars des existences s’en mêlent. Le père trompe la mère. Elle se suicide et le veuf confie son fiston à un couple d’amis agriculteurs. Fermand et Fifine sont un peu bourrus mais font ce qu’ils peuvent et le gamin s’émerveille de nombreuses découvertes jusqu’à ce que ses grands-parents maternels décident de le reprendre. Il s’enfuit et se noie.
L’histoire est simple, courte, dramatique comme la vie du héros. Tout est écrit sans pathos : la narration est elliptique. Sont retenus des éléments anodins mais qui ne le sont jamais dans l’économie d’un tel livre. L’artiste n’écrit que ce qui doit être. Le monde est perçu comme un système de systèmes dans lequel chaque « logique » particulière conditionne les autres tout en étant conditionnée par elles.
Jocelyne Desverchère cherche toujours à représenter le monde comme un méli-mélo, un micmac, une pelote sans jamais atténuer la complexité inextricable et qui finalement détermine l’événement final même s’il semble accidentel. La romancière réussit à subsumer son récit (ou sa fable) par une force poétique minimaliste. Elle peut même en début de fiction tromper le lecteur. Il croit pouvoir glisser dans une certaine langueur. Toutefois, très vite, le rouge est mis.
L’histoire est une mise non en abyme mais aux abîmes là où l’Eros devient la symétrie de Thanatos qui va l’écraser. La nuit du monde prend à la gorge à travers l’errance d’un innocent piégé dans le jeu des « grands ». Si bien que ce roman, dans son point de vue particulier, n’est pas si éloigné que cela de la première fiction de l’auteure publiée chez le même éditeur.
jean-paul gavard-perret
Jocelyne Desverchère, Simon, P.O.L éditeur, Paris, 2018, 128 p. — 9,00 €.