Mary Dorsan s’enfonce dans le gris par le noir sur blanc de l’écriture afin de ne pas s’abandonner aux ténèbres. Elle laisse apparaître un monde figé en perte d’équilibre sous un jour faible. La mort mord en elle mais elle se refuse à suivre ses appels. Rien n’est joué là pourtant où l’enferment règne. En dépit de cet état des lieux, la narratrice semble parfois légère. Pour preuve le début du roman : « J’ai une passion pour le Y.
- Une passion pour le Y ?
— Oui, pour le Y.
— Pourquoi pour le Y ?
— Parce que c’est la plus belle lettre de l’alphabet, elle est debout et lève ses bras vers le ciel.
Ils sont assis dans une cour intérieure. L’homme aux cheveux noirs, aux yeux noirs et la femme à la peau claire, aux yeux verts. » Il l’a suivie dans l’hôpital psychiatrique où elle travaille, après avoir bûché dans un appartement pour adolescents perturbés.
Elle a changé de lieu de thérapie afin d’« éprouver plus fortement encore l’espérance » mais désormais au milieu d’adultes qui ont accompli parfois l’irréparable : meurtre ou violences envers eux ou les autres. Elle s’est décidée parallèlement à écrire ce qu’ils disent : « leurs mots tracés, entrelacés dans un roman, on reconnaîtra leur valeur. » Elle écrit leur douleur en restituant leurs voix moins folles que lucides et profondes. Tout est bouleversant dans ce texte violent où la narratrice doit subir une administration cauteleuse.
Celle-là ne lit plus des romans, allongée sur un canapé gris et dans la pénombre : elle écrit sa colère et douleur des autres. Plus besoin de fouiller sa mémoire: le réel impose ses lois sans rambardes de sécurité. La narratrice ne dramatise rien, ne se trompe sûrement pas. Elle raconte, patiente et compréhensive, ce que tout le monde ignore. Certains feraient de la dépression, avec tous ces mots, elles non. Elle n’écrit pas pour aller mieux ni pour se prétendre « la déesse de la mort ». Seule la vie l’intéresse même dans une grande chambre à la peinture grise tirant sur le bleu pâle. Elle n’écrit pas pour perdre sa mémoire orageuse et lourde de colère ni se débarrasser de ses souvenirs « collants comme du miel ».
Elle témoigne d’un point de vue précis : le réel échappe à toute démonstration. Il n’est source que de rapports contradictoires. Si bien que la « biographie de l’anecdote » proposée par le livre est d’une puissance rare là où la narratrice provoque l’inconnu et le déséquilibre. Là où la vie en vrac semble effervescente et où un sens de la déliaison va jusqu’à exclure tout commentaire sur un tel constat de déshérence.
jean-paul gavard-perret
Mary Dorsan, Une passion pour le Y, P.O. L éditions, Paris, 2018.