Les univers de Wilfrid Lupano se suivent mais ne se ressemblent pas. Quels liens peut-on faire entre cette série si inventive, ce conte aussi ingénieux que riche en péripéties et Traquemage, sa nouvelle série chez Delcourt où il met en scène un berger traquant les magiciens qui ont la mauvaise idée de lui pourrir la vie ?
Avec Azimut, le scénariste joue une symphonie basée sur les conséquences de la perte de repères dans une civilisation. Il a commencé avec la disparition du Nord et compliqué les événements en dérèglant le temps avec toutes les variations qu’on peut trouver.
Le chevalier Quentin de la Pérue, qui a réactivé par inadvertance le dieu-machine, rencontre la grosse femme dans son atelier. Elle tue le temps en fabriquant ces oiseaux mécaniques qui génèrent les précieux saugres. Elle raconte que leur quête d’immortalité, avec l’Arracheur de temps, touche à sa fin, celui-ci ayant de plus en plus de mal à se procurer du substemps. Cette dame montre un portrait d’elle lorsqu’elle était jeune, avant cette recherche de l’immortalité. La Pérue remarque une étrange ressemblance avec Manie…
Dans le palais de Baba Musiir, le maître du désert, on apprête la belle Manie Ganza pour son mariage. Elle sera la 103e épouse, la nouvelle favorite. Celle-ci, cependant, est persuadée que cette union n’aura pas lieu car l’Arracheur de temps, jaloux, aura volé la quasi-totalité des jours qui restaient à vivre à Baba, pendant son sommeil. Or, ce dernier n’a pas besoin de dormir car il prend, chaque jour, une antidatte, fruit de son mythique palmier antidattier.
Sur les murailles du palais de Baba, la Dame des sables hisse Eugène, le peintre, le major Oreste Picote et la Tortue. Ils viennent délivrer Manie. Alors que la reine d’Ether continue la traque de sa fille, la guerre entre le Petitghistan et le Royaume du désert va éclater…
Lupano conduit une galerie de personnages, où se mêlent humains et animaux, tous plus singuliers les uns que les autres, leur attribuant des rôles et des patronymes désopilants au possible. Mais, sous la comédie, sous ces dialogues pétillants d’humour, ces situations drolatiques à souhait, sous un ton qui paraît léger, le scénariste pointe les travers les plus détestables de la nature humaine, dénonce des situations ahurissantes pour la dignité des individus.
Ce quatrième tome, ô combien dynamique !, est riche en révélations, tout en laissant encore nombre de questions sans réponses, en particulier toutes celles relatives à l’Arracheur de temps.
Jean-Baptiste Andreae assure un superbe graphisme, osant des mises en scènes de toute beauté, jouant avec brio de ses qualités de coloriste, variant avec maestria les tonalités selon les décors. Il dessine des personnages singuliers, mettant peu en valeur le physique des protagonistes masculins, mais donnant aux femmes éclat et beauté, formes et volupté.
Azimut, d’albums en albums, confirme son statut de série de caractère, servie par deux créateurs au sommet de leur art.
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario) & Jean-Baptiste Andreae (dessin et couleurs), Azimut — t.4 : Nuées noires, voile blanc, Vents d’Ouest, coll. “Hors Collection”, janvier 2018, 48 p. – 13,90 €.