“En attendant que le soleil réchauffe un peu le monde”
Le Signal, premier roman de Ron Carlson traduit en français et d’abord paru en 2011, fut encensé par la presse, tant américaine que française. Dans la grande lignée du « nature writing », marque de fabrique des éditions Gallmeister, ce roman fait la part belle aux grands espaces, à la nature à l’état brut. L’homme et la femme semblent perdus, minuscules taches dans cette immensité hostile. La montagne, même pour ces deux randonneurs chevronnés, est indomptable. Il faut s’adapter tantôt au froid, tantôt à la pluie battante, aux glissements de terrain, pour jouir de sa beauté. Sauf qu’ici, cette pureté est entachée. D’abord par la présence inquiétante de braconniers sans vergogne – avec les carcasses de cerfs éventrés pour seuls indices de l’incroyable violence qui, si elle n’est qu’évoquée, n’en est pas moins perçue dans toute sa sauvagerie.
Et puis il y a Mack et son mensonge. Il gâche une semaine de camping dans les montagnes du Wyoming qui ont vu naître son amour pour Vonnie (elle lui a accordé cette semaine comme une sorte de point final à leur histoire gâchée par les magouilles). Et ce qui aurait pu, aurait dû être l’occasion pour lui de tenter de la reconquérir maintenant qu’il s’en est sorti, est aussi le moyen d’accomplir une mission assez mystérieuse pour un caïd qui finira par le doubler. C’est triste comme la pluie qui bat le flanc de la montagne, beau comme un rayon de soleil sur un lac glacial.
Cinq Ciels n’est guère plus gai, du moins au départ. Ron Carlson nous emmène cette fois dans l’Idaho, sur un chantier suspendu entre ciel et terre que trois hommes hantent de leur carcasse. Car Arthur Key, le colosse, comme Ronnie Panelli, le jeune paumé, ou Darwin Gallegos, le patron rongé par la mort de sa femme, sont des coquilles vides en apparence. Entre le taiseux, le froussard et le colérique va pourtant se lier un lien improbable, sorte d’amitié virile et quasi muette. Peu à peu, très lentement, au rythme de la nature. Mais là encore, une ombre plane sur la beauté environnante, parce qu’il ne s’agirait pas que le ciel se découvre de trop.
De là à dire que Ron Carlson est un écrivain pessimiste… Il est en tout cas un peintre remarquablement doué de la nature sauvage, qui sait allier sobriété des descriptions et de l’expression des sentiments, « en attendant que le soleil réchauffe un peu le monde » (Cinq Ciels, p. 21), ce qui n’arrive pas souvent. Malheureusement, le lecteur français ne profitera pas pleinement de sa plume, en particulier dans Le Signal, tant la traduction paraît poussive. Parfois même tellement confuse que des passages entiers en deviennent quasi incompréhensibles, ce qui gâche quand même un peu le plaisir. Alors si Ron Carlson écrit comme Hemingway, comme le dit le Washington Post cité sur la quatrième de couverture, disons que la traduction de Sophie Aslanides ne lui rend pas toujours justice.
agathe de lastyns
Ron Carlson,
- Le Signal, Gallmeister, coll. Totem, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides , août 2012, 240 p. — 9,20 €
- Cinq Ciels, Gallmeister, coll. Totem, traduit de l’anglais (États-Unis) par Sophie Aslanides, août 2012, 264 p. — 22,90 €