Pour Christelle Jornod, le paysage tout comme l’image apparaissent comme des réalités concrètes mais aussi des voiles qu’il faut soulever afin d’atteindre les histoires, le mystère ou le chaos qui se trouvent derrière. La force de la nature est celle des contrastes et l’artiste les retourne : l’épaisseur prétendue des éléments est soustraite au simple jeu de miroirs. En surgit une musique d’un inframonde. Evitant la lumière trop « blanche » du soleil en son zénith, elle cadre et recadre le réel dans une marche forcée d’éclaireuse. En des moments où l’ombre le métamorphose elle lance le paysage vers l’abstraction. Le monde minéral devient un champ d’expérimentation pour une poésie première.
Christelle Jornod, Littéralement et dans tous les sens, Centre de la Photographie, Genève, Décembre 2017.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La curiosité, et le travail, l’envie de fabriquer.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je les oublie dans un coin de ma tête. Je les laisse à plus tard.
A quoi avez-vous renoncé ?
Pourrions-nous revenir à cette question dans trente ans ?
D’où venez-vous ?
Je viens d’un très petit village au pied du Jura suisse. Un village où tout le monde se tutoie.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une capacité d’acharnement, de persévérance peut-être. De ma mère je crois avoir appris la patience.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Mes appels téléphoniques longue distance avec mes amis qui vivent loin de moi.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres photographes ?
Impossible question ! Rien, et tout, probablement.
Comment définiriez-vous votre approche du paysage ?
Elle est, je pense, duale et paradoxale. Le paysage est pour moi quelque chose de très concret, qui peut être très brutal, très dur. Mais c’est aussi une chose pour laquelle j’éprouve une fascination visuelle, très éthérée. Le paysage est autant une image qu’une réalité, lointain et proche. Je pense que mon approche du paysage contient ces contradictions.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Une photographie de Sally Mann, “Candy cigarette”
Et votre première lecture ?
D’Emile Zola : “Germinal”.
Quelles musiques écoutez-vous ?
Mes actuelles obsessions musicales : John Maus, Joy Division. Et Matt Elliott pour les nuits sans sommeil.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
“The Catcher in the Rye” de Salinger.
Quel film vous fait pleurer ?
J’ai pleuré en regardant “Mommy” de Xavier Dolan.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Moi, chaque fois un peu plus vieille.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Aux personnes qui ne répondaient pas à mes postulations d’emploi
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
La Méditerranée.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Le photographe Robert Adams, pour sa relation ambivalente au territoire ; Corinna Bille, pour sa vision de ce qu’est le réel ; Charles Ferdinand Ramuz pour nos racines communes.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un autre livre de Nicolas Bouvier.
Que défendez-vous ?
Le mouvement.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Trop peu de choses malheureusement ! Idem, reparlons-en dans trente ans, peut-être.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Le courage et l’optimisme. J’aime bien cette phrase.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Vous auriez pu me demander ma couleur préférée. C’est une question qu’on me pose beaucoup.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 16 décembre 2017.