Marie Paccou n’est pas de celles que le clair obscur rend dubitatives. Engagée dans son travail à la fois de femme et d’artiste (l’un n’empêchant pas l’autre bien au contraire), elle crée des œuvres passionnantes, débridées, drôles et poétiques. Faufileuse à sa manière, conjugueuse de vie à l’irréel présent, elle se moque au besoin de celles qui attendent leur prince sans rire et des Marie-Madeleine de Commercy. Grâce à ses dessins animées, les appâts rances disparaissent. En visiteuse du soir, elle fait quand il le faut de ses œuvres des remparts de tendresse. Mais n’étant jamais frappée d’insomnie à l’angle des choses, on peut l’imaginer touiller le jus des framboise en se mordant les lèvres jusqu’à ce que le lourd liquide se mette à gonfler et que, sur le point de brûler, il brille. Elle y ajoute alors une pointe d’eau de vie comme celle qui suinte de ses dessins. Ces films sont des films lents où tout le monde galope, des films rapides où l’on bouge à peine. A sa manière, c’est une Princesse de Clèves Cœur. Mais en bonne roturière elle donne aux meuniers autant de grain à moudre qu’aux électriciens de fils à retordre.
Entretien :
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Le café que m’apporte mon compagnon, l’école des enfants et facebook.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
J’ai lu très tôt car ma mère, ayant raté le concours de l’Ecole Normale, m’a prise pour cobaye, et j’ai eu mes premiers succès de dessinatrice en plagiant Sarah Kay quand j’étais au CP. Alors, je ne me rappelle plus très bien de mes rêves d’enfant, mais dessiner sur mes livres y ressemble.
A quoi avez-vous renoncé ?
Au fonctionnariat, à ce qu’on appelle une belle place. J’y ai renoncé au moment où j’en étais très proche, et ça a probablement déchiré le coeur de mon père. Il est mort aujourd’hui mais son fantôme vient souvent me siffler que j’ai fait une bêtise.
D’où venez-vous ?
A cette question, je ne ne sais pas répondre en peu de mots. En Auvergne où j’habite depuis 17 ans, je viens de Flandres, parce que je suis très grande, et forte, un paysan me l’a fait comprendre en me comparant au Géant des Flandres. Quand j’habitais à l’étranger, en Angleterre ou en Allemagne, je venais de France. Quand j’habitais à Paris, je venais de Province, ayant grandi près de Montpellier. Une fois pour un pandore idiot, j’ai été sénégalaise, parce que je suis née à Dakar (de parents coopérants).
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Nous vivons en concubinage.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
La lecture de ce blog: http://www.anima-studio.com/blog/
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ils sont nombreux, les autres artistes. Tiens, je viens de me rendre compte que vous m’avez appelée artiste, et ça me fait très plaisir. Je viens du dessin animé, il y a peu d’artistes qui viennent du dessin animé, qu’on tient pour enfantin. J’ai eu pour héros d’adolescence des court-métragistes somptueux comme Frédéric Back et Caroline Leaf. De plus en plus d’artistes usent du dessin animé, dans l’art contemporain, mais moi, ce n’est pas que j’use du dessin animé, c’est que je voudrais que toute l’animation aie une place dans l’Art.
Comment définiriez-vous votre approche du travail de création des “flipped books” ?
Bien sûr c’est très contraint. Mes camarades de l’ENSAD, qui ont monté le Ouanipo, je leur ai montré les flipped books (ou livres flippés), ils aiment beaucoup. Il faut s’adapter au format de l’ouvrage, à la qualité du papier (les Folio Poche, il faut le savoir, le papier est un buvard, c’est terrible), et évidemment au nombre implacable de pages, tout en essayant de respecter le texte. Parfois je me plie à ces contraintes, ça donne “Tristan et Iseut”, parfois je contourne le respect du texte et je fais une blague, ça donne “Qu’est-ce que la Métaphysique?” ou “Les Soucoupes Volantes Existent”.
Quelle est la première image qui vous interpella ?
Il faut croire que c’étaient les Poulbots de Sarah Kay, si j’ai mis du coeur à les reproduire pour gagner l’admiration de mes camarades.
Et votre première lecture ?
Mon tout premier livre, j’étais très jeune puisqu’on n’était pas encore rentrés d’Afrique, j’avais moins de trois ans, c’est un ami de mes parents qui me l’avait offert, c’était un livre racontant la naissance de Jésus. Une bondieuserie, avec les rois mages, l’étoile, le voyage à dos d’âne, mais les images étaient très jolies, très douces, dans les violets et les oranges, pointillistes.
Quelles musiques écoutez-vous ?
J’en écoute très peu, et pas du tout en travaillant. J’ai entendu Depardieu chanter Barbara à la radio, je me suis dit qu’il fallait que je l’achète, ce CD-là.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
J’ai 43 ans, et j’ai déjà relu des livres, par exemple “Les choses” de Perec, pour savoir où j’en étais du livre (tester mon degré d’embourgeoisement), mais je ne sais pas encore quel livre j’aimerais re-relire. La poésie, bien sûr, est plus propice aux lectures répétées. Je relis souvent “Plume” de Michaux.
Quel film vous fait pleurer ?
« L’homme qui plantait des arbres » de Frédéric Back, sur un texte de Giono. En prise de vue réelle, “Le miroir” de Tarkovski.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Une maman. Et puisque vous parlez de miroir, je dois avouer que dans Blanche-neige, je comprends de mieux en mieux l’affreuse marâtre. C’est inéluctable mais je ne m’y attendais pas. Il faut dire que j’ai une fille adolescente et très belle.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Ce serait plus intéressant de demander à qui je n’ai pas osé parler. J’écris beaucoup. Je n’ai jamais parlé à un psychanalyste.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Le studio de Youri Norstein. C’est un réalisateur d’animation russe affreusement talentueux, et probablement tempétueux. Le succès de ses courts lui a amené les financements pour un long-métrage, mais il a tenu à travailler comme toujours, seul avec son épouse. Quand j’ai fini l’ENSAD, en 1997, il avait déjà mangé l’argent, mais loin d’avoir produit une heure et demie de film, il avait raffiné quelques secondes, mais d’une intense poésie (on voit ces secondes du “manteau” d’après Gogol, et le studio du maître ici). Vingt ans plus tard, on attend encore le film.
Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?
Il y a Lizzy Hobbs à Londres. Tous les films de Lizzy sont en ligne, on a en commun un goût de l’expérimentation, on anime des ateliers avec des enfants, c’est un travail qui exige de se renouveler constamment, de mettre au point des outils rapides, peu onéreux… c’est éreintant mais artistiquement, ça amène à une forme de radicalité, en tout cas d’énergie. Le film de Lizzy que je préfère s’appelle « the very old man », elle l’a filmé dans sa baignoire, en peignant à l’encre et en essuyant l’émail.
Des écrivains, non, je ne me sens pas proche. Je me sens plus proche d’auteurs et autrices de bédés : à mes débuts, quand je réalisais “Un Jour”, c’était les noir et blanc de Julie Doucet, Anke Feuchtenberger, Dominique Goblet, Thomas Ott… et maintenant, je suis des auteurs comme Ronald Grandpey, Anne Simon, Delphine Panique, Yoon-Sun Park. Mais l’artiste le plus proche, c’est mon compagnon, il peint.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Avoir une exposition dans un musée. J’étais tellement bêtement heureuse en encadrant mes vidéos pour l’exposition de septembre, le crdp m’avait prêté des ipad. Si je n’ai pas l’exposition, je voudrais bien le jeu d’ipad… j’accrocherais mes vidéos chez moi, hahaha.
Que défendez-vous ?
La place de l’Animation dans l’Art et le Cinéma et la place des femmes dans l’animation ( je suis co-administratrice de femmesdanim.fr). Je regroupe un peu tout ça dans la défense du cinéma bricolé (pour lequel j’ai monté un festival, 4 éditions) car il faut dire qu’à mon avis, les femmes sont les meilleures bricoleuses du cinéma.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
C’est une bonne base de comédie. Si la phrase de Lacan est juste, alors l’Amour est une comédie. Si elle est juste, il vaut mieux garder la place du réalisateur.
Que pensez-vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?“
Non?
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
L’âge de mes enfants. Mon fils a 16 ans, ma fille aînée 14, et ma dernière 7 ans.
Présentation et entretien réalisés par jean-paul gavard-perret pour lelitteraire.com, le 25 novembre 2017.