Jay Z, 4 :44

Top of the Pop

Avec cet album Jay-Z n’est pas loin de tou­cher la per­fec­tion.  4 :44  se veut une sorte de tes­ta­ment. Et il y a bien des choses à y gla­ner. Maître des mots, Jay joue avec mais sans aller par quatre che­mins. Avec cet album fondé sur ses échecs per­son­nels et sur la libé­ra­tion finan­cière noire, il rend sophis­ti­qué ce qui est le plus sou­vent sérieux et par­fois (mais par­ci­mo­nieu­se­ment) digne des caprices d’un gosse. Le maître du rap est là à son zénith.  4 :44  est riche : jamais l’expression « album de la matu­rité » n’a pris autant son sens. L’artiste y fait le bilan autant sur ses dérives que du sens de son œuvre. A peine plus d’une demi-heure et tout est passé au crible en un bilan de vie, de galères, de réus­sites.
L’album est tatoué de la charge et du sens de la négri­tude. “Legacy”, “The Story of O.J.” et “Moon­light” sont des chefs-d’œuvre tant sur le plan musi­cal que par leurs “lyrics”. Leurs rugo­si­tés sont habi­le­ment com­pen­sées par des arran­ge­ments fluides. Existent là des élé­gies sub­tiles entre punch-lines et moment d’émotions. Une vision de fond qui donne au rap une ligne superbe faite de beat et de mélo­die par le jeu de diverses cita­tions. L’artiste semble prou­ver que le rap est noir ou n’est pas. En dehors d’Eminem il est vrai que per­sonne chez les blancs ne lui arrive à la che­ville. Quant aux autres rap­peurs blacks, ils ont du souci à se faire.

Par les 10 beats de l’album, le DJ de Chi­cago et ses samples créent beauté et pro­fon­deur. Tan­dis que “The Story of O.J.” rend sa part de l’ombre iné­luc­table de la cou­leur de peau, Nina Simone chante  “My skin is black”. Et Jay Z se fait l’avocat d’une liberté noire dans un ensemble céré­mo­niel où les voix des femmes (Nina Simone, Lau­ryn Hill, Sis­ter Nancy, Kim Bur­rell, Han­nah Williams, sa fille Blue Ivy, Beyonce bien sûr et sa mère Glo­ria) viennent ponc­tuer celle de l’artiste.
La cara­pace intel­lec­tuelle éclate pour lais­ser à vif un épi­derme, un sang, une chair. Le cœur bat selon la pal­pi­ta­tion sonore qui se greffe en lui. Il y a là semailles de perles, mèches de nos­tal­gie, alarmes d’eau et de sel. Réso­nance de la réso­nance. Un corps est appelé à gran­dir de la sépa­ra­tion. Ecou­ter l’album revient à ren­trer en résis­tance, à se sau­ver. La musique n’est plus l’apprêt et le ré-enracinement iden­ti­taire de l’après. Jay Y devient inven­teur de son fan­tôme, et copain comme cochon avec lui.

jean-paul gavard-perret

Jay Y,  4 :44, label Roc­Na­tion, 2017

1 Comment

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One Response to Jay Z, 4 :44

  1. Carreira

    Pour les ama­teurs du RAP ce texte est majes­tueux!
    Bravo JPGP de subli­mer ce mode d’expression, que lorsque c’est dicté par de bons sen­ti­ments reste un art.

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