Jacques Demarcq, Phnom Poèmes

Quand le poète fait le Jacques ou le Ton­ton Flingueur

S’il existe un concours pour dési­gner un digne suc­ces­seur à Cen­drars et à Alfred Jarry, Demarcq tient la corde. Il démy­thi­fie autant la poé­sie que le jour­na­lisme, le réel que ses images. Néan­moins à « L’Henaurme » l’auteur pré­fère une écri­ture volon­tai­re­ment plate comme une vieille anglaise. Le livre com­mence presque sans y tou­cher. Très vide, cela tourne au vinaigre. La pre­mière page tour­née, le cau­che­mar rejaillit. Mais, une fois le décor his­to­rique planté, la vie reprend ses droits. Et dans cet objec­tif, Demarcq joue les De Vlae­minck plu­tôt que les Charly Gaul sur « son biclou sans vitesse » car il n’est pas besoin d’être grim­peur : la ville est plate.
Il est aisé de com­prendre qu’à Phnom Penh (il en sera de même dans tout le voyage le long du Mékong) rien ne change sous le soleil. Certes, l’épisode Khmers Rouges est passé. Les plus malins d’entre eux ont su se faire une vir­gi­nité pour deve­nir les piliers de ce que l’auteur nomme « une banale dic­ta­ture affai­riste » lar­dée de cyniques et de misé­reux. Les séna­teurs du parti du peuple se sont acca­pa­rés le bien public et, lorsque les expul­sés mani­festent, ils sont sine die relo­gés dans les pri­sons du même peuple.

Rien de plus robo­ra­tif et recons­ti­tuant qu’un tel jour­na­lisme. Demarcq ne fait jamais preuve d’une occi­den­tale suf­fi­sance et n’est en rien blai­reau des tro­piques. Dans ce caphar­naüm, sa vision de poète est impayable En une atmo­sphère de sous-préfecture, les rues prennent des noms qui en jettent. Il y a là une piquante Prin­ce­ton Road, une sémillante Ber­ke­ley Street et l’auteur d’ajouter : « c’est flat­teur dans un pays où s’achètent les diplômes ».
Quant à sa visite à la cour de jus­tice, c’est une pan­ta­lon­nade : l’auteur n’y est pour rien. Il lui suf­fit de racon­ter ce qui s’y passe. En dehors du palais la vie suit son cours. L’auteur est sans pitié pour les boud­dhistes et les « per­vers rouges » dûment ache­tés et por­tant « T-shirt en l’honneur de l’honnêteté » mais tou­jours au pre­mier rang pour la jour­née de l’anti-corruption. Le tout sous le regard aviné des membres des 1500 O.N.G. qui se pavanent dans les quar­tiers chics pour n’en sor­tir que dans leur 4 x 4 afin d’illustrer leur néo-colonialisme « altruiste » et s’envoyer en l’air avec des pros­ti­tuées de l’âge de leurs petites-filles.

Demarcq garde l’immense mérite de mon­trer ce qui est sage­ment tu. La céré­mo­nie mor­tuaire de Noro­dom Sia­nouk est un mor­ceau de bra­voure. C’est le moment d’en finir avec « l’embaumé qui depuis 3 mois résiste aux mouches » non sans avoir laissé son pays se trans­for­mer en un hor­rible bagne géné­ra­lisé. Mais les puis­sants du moment le recyclent en bon père du peuple. Et ce der­nier fait sem­blant d’y croire même si, in petto, beau­coup se marrent mais se méfient tou­jours de ceux qui rient jaune.
Quit­tant la capi­tale, le voyage se pour­suit mais la vision est la même. Ici des bonzes font la manche en pirogue (his­toire de noyer le pois­son). Là, les mous­tiques s’activent et les bis­trot­tiers aussi. Bœufs, pétouillauds, et biclous se croisent en un par­fait désordre. Bref, tout change et rien ne bouge. L’oncle Ho repré­sente encore le roi des Congs pour cer­tains Viets. Tou­te­fois, Demarcq n’en fait pas une chou­croute – ce qui serait une faute de goût eu égard à la région.

A qui veut connaître le réel l’auteur prouve que la poé­sie est un médium défo­liant. Plus effi­cace mais moins per­vers que celui des 15000 tonnes de bombes que lâchèrent les B52. Ce qui fit des mil­liers de morts mais aussi oeu­vra pour la pro­pa­gande glo­rieuse d’un parti qui ne s’est pas privé de finir ce que les Amé­ri­cains avaient com­mencé. Par delà demeure le désir de vivre, de durer pour tous les per­dants aux­quels le poème rend hom­mage de la plus belle manière qui soit.
A l’emphase lyrique est pré­fé­rée l’humour. Quitte à être taxé de mau­vais goût, pré­fé­rons néan­moins Demarcq à Hugo. Le pre­mier fait ava­ler moins de cou­leuvres. Il rend de beaux hom­mages aux femmes en sarong, leurs pieds menus en tongs.

jean-paul gavard-perret

Jacques Demarcq,  Phnom Poèmes, Edi­tions Nous, Caen, 2017, 120 p. — 15,00 €.

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