Un portrait au vitriol de la société lisboète
Maria João tente de survivre après avoir été violée par trois garçons. Mais la mort la rattrape.
Au milieu du Tage, une femme se défend, hurle, frappe Lourenço alors qu’Alberto, qui ne peut lâcher les commande du petit canot, lui crie de ne pas la laisser s’échapper. Elle réussit à sauter, à rejoindre la rive cependant rattrapée et frappée avec l’ancre. Elle est laissée pour morte. Une ombre a assisté au drame, une ombre qui emporte le corps de la femme. Alberto et Lourenço sont les fils de Salvador Teles, un puissant industriel. Ils sont très inquiets après les événements de la nuit. Et cette fois-ci, ils ne pensent pas être sauvés par leur père qui avait fait étouffer l’affaire de l’assassinat de Maria João. Ils font partie de la jeunesse dorée de Lisbonne et avec Rick, leur cousin, un acteur de seconde zone ; ils tournent des films pornographiques.
Cette femme est fiancée à Evgueni, un garçon qui s’inquiète quand elle n’est pas au rendez-vous, qu’elle reste introuvable. Il contacte Oulianov, le frère d’Irina, un taiseux au passé tourmenté. Celui-ci, après être passé par les services spéciaux de l’URSS, l’armée a fini dans des combines criminelles, fait de la prison et se terre au Portugal comme ouvrier. Pour retrouver sa sœur, il doit sortir de l’ombre et renouer avec des réflexes d’enquêteur.
Pour construire son intrigue, le romancier mise sur les règles du roman criminel inversé dont tout l’enjeu est de savoir si le, ou les, coupables pourront échapper à la justice, au châtiment. Il les place dans les milieux aisés de la capitale, dans le milieu des affaires. Il décrit Lisbonne et son évolution, les quartiers en mutation. Il expose les constructions nouvelles, les travaux d’infrastructure et ce qu’ils génèrent comme magouilles et malversations, pots de vins et corruptions en tous genres.
Trois parcours principaux structurent le récit. Celui des deux frères qui peu à peu se sentent cernés par des forces inconnues et qui tentent de desserrer l’étau. Ceux qui portent le glaive de la justice, que ce soit la police, justicier officiel ou un ex-assassin qui mène sa vendetta. Lisbonne s’installe à côté de ce trio et occupe une place entière de personnage.
Le romancier dresse une galerie de portraits remarquables dans leur noirceur. Peu méritent être sauvés. Salvador Teles, un grand capitaine d’industrie qui a eu l’opportunité d’épouser une riche héritière mais qui a su faire prospérer l’argent de son beau-père profitant du réseau qu’il avait créé quand il était militaire. Les deux fils dont leur père doute de leurs capacités au point de les laisser avec des “joujoux”, préférant vendre son empire. L’immigrant russe au passé criminel chargé, même s’il tuait dans une certaine légalité. Et puis toute une équipe de fonctionnaires municipaux qui doivent arrondir leurs fins de mois, de policiers plus ou moins corrompus. Et puis, une ombre qui hante la nuit.
Tout ce petit monde s’agite dans Lisbonne, de la Jet-set aux sous-sols inexplorés, des couloirs des administrations aux bords du fleuve. Pedro Garcia Rosado propose un roman fort, âpre, à l’intrigue raffinée mettant en tension un récit attractif servi par une théorie de protagonistes bien campés.
serge perraud
Pedro Garcia Rosado, Mort sur le Tage (Ulianov e o Diablo), traduit du portugais par Myriam Benarroch, Éditions Chandeigne, coll. “Bibliothèque Lusitane”, octobre 2017, 408 p. – 22,00 €.