Justin Vaïsse, Histoire du néoconservatisme aux Etats-Unis

Une his­toire d’un mou­ve­ment intel­lec­tuel américain

Le 20 jan­vier 2009, George W. Bush a laissé la Mai­son Blanche à Barack Hus­sein Obama. Avec ce départ, ce ne sont pas seule­ment les répu­bli­cains qui perdent le pou­voir suprême au pro­fit des démo­crates, mais aussi un mou­ve­ment intel­lec­tuel qui sus­cite de nom­breuses inter­ro­ga­tions, voire des fan­tasmes incon­si­dé­rés, les néoconservateurs.

Leur influence sur la poli­tique étran­gère de George W. Bush, et notam­ment dans la déci­sion d’envahir l’Irak, méri­tait une étude pré­cise et aussi impar­tiale que pos­sible. Jus­tin Vaïsse s’y est attelé. Spé­cia­liste de la poli­tique amé­ri­caine, auteur de plu­sieurs ouvrages, il offre aux lec­teurs fran­çais l’outil indis­pen­sable à la com­pré­hen­sion de ce phé­no­mène intel­lec­tuel qui est, tout au long du livre, constam­ment replacé dans le contexte his­to­rique, inté­rieur comme exté­rieur, des Etats-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’his­toire du néo­con­ser­va­tisme est extrê­me­ment com­pli­quée puisqu’il est né chez les démo­crates avant de s’en sépa­rer au béné­fice des répu­bli­cains, mais pour une par­tie seule­ment de ses com­po­santes. On ne peut donc que se réjouir de la clarté avec laquelle Jus­tin Vaïsse retrace ce long et tor­tueux che­mi­ne­ment. En le lisant, on sai­sit la rup­ture qu’a consti­tuée l’émergence, dans les années 1960, de la Nou­velle Gauche aux Etats-Unis qui s’est struc­tu­rée autour de la contre-culture, contre la guerre du Viet­nam et pour la lutte en faveur des droits civiques et des mino­ri­tés. Pour cer­tains démo­crates, ces posi­tions, ce rejet du modèle amé­ri­cain demeurent inac­cep­tables. Ils res­tent atta­chés au « libé­ra­lisme du centre vital », autre­ment dit au consen­sus autour de l’anticommunisme et du New Deal mais qu’il ne faut plus appro­fon­dir. C’est là que naît le pre­mier néo­con­ser­va­tisme, terme uti­lisé par ses adver­saires de la Nou­velle Gauche. Puis arrive le deuxième néo­con­ser­va­tisme, celui des années 1970 qui s’avance sur le ter­rain de la poli­tique étran­gère. Il dénonce la ten­ta­tion néo-isolationnisme du can­di­dat démo­crate de 1972, George Mac­Go­vern, jugé indigne des Etats-Unis défen­seurs du monde libre.

La rup­ture avec le parti démo­crate, désor­mais extrê­me­ment « gau­chisé », est nette mais pas suf­fi­sante pour por­ter le néo­con­ser­va­tisme vers les répu­bli­cains. En effet, il com­bat tout autant la poli­tique de Détente et de dis­cus­sions avec l’URSS menée par Nixon et Kis­sin­ger. Le man­dat du démo­crate Car­ter déçoit vite les espé­rances mises en lui. Il faut attendre la vic­toire de Rea­gan en 1980 pour que de nom­breux néo­con­ser­va­teurs passent chez l’ennemi répu­bli­cain, par­fois avec de sin­cères déchi­re­ments. Mais l’ancien acteur incarne cette poli­tique idéo­lo­gique, ferme, de défense des droits de l’homme et de com­bat tout azi­mut contre l’Empire du mal à laquelle ils aspirent.
Pour autant, le por­trait, tout en finesse et en nuances, de Rea­gan et de ses deux man­dats per­met à Jus­tin Vaïsse de bien cibler les limites de leur influence sur le pré­sident. C’est George W. Bush qui ouvre véri­ta­ble­ment au néo­con­ser­va­tisme les portes du pou­voir, tout en main­te­nant aux prin­ci­paux leviers (Affaires étran­gères, NSC, CIA) ses adver­saires « réa­listes ». Le 11 sep­tembre et les guerres en Afgha­nis­tan et en Irak marquent, selon l’expression même de l’auteur, le triomphe de l’idéologie. La Doc­trine Bush en est impré­gnée. Mais là aussi, une évo­lu­tion plus réa­liste s’amorce avec le second mandat.

Mais que veulent les néo­con­ser­va­teurs au fond ? Quelle est en fait leur idéo­lo­gie ? Pour eux, la fin de la Guerre froide offre une oppor­tu­nité unique aux Etats-Unis d’établir leur hégé­mo­nie sur le monde et de concré­ti­ser leur pro­jet d’Amérique-monde. Il s’agit de défendre l’unipolarité qui ne peut qu’être béné­fique aux Etats-Unis parce qu’elle implique la démo­cra­ti­sa­tion du monde, corol­laire indis­pen­sable à leur sécu­rité. Parce que les démo­cra­ties sont paci­fiques et ne se font pas la guerre. On com­prend l’importance de la démo­cra­ti­sa­tion de l’Irak, point de départ à celui du tout le Moyen Orient. Cette mis­sion jus­ti­fie tout, le rejet du droit inter­na­tio­nal et de l’ONU, la puis­sance mili­taire inéga­lée et uti­li­sée, l’endiguement de la Rus­sie, l’encerclement de la Chine, la vas­sa­li­sa­tion de l’Europe, la défense intran­si­geante d’Israël.

Justin Vaïsse met alors en avant trois erreurs fon­da­men­tales des néo­con­ser­va­teurs : leur arro­gance poli­tique qui ne leur per­met pas de dis­cer­ner avec jus­tesse les condi­tions d’exercice de la puis­sance amé­ri­caine ; leur paresse intel­lec­tuelle qui leur fait mélan­ger des élé­ments forts diver­gents et enfin leur manque de connais­sances sur le Moyen Orient. Le néo­con­ser­va­tisme demeure un ava­tar de l’esprit mes­sia­nique amé­ri­cain. Il n’en reste pas moins intrin­sè­que­ment lié à l’histoire du pays. On aurait donc tort de le croire dis­paru avec l’élection de Barack H. Obama, qui semble incar­ner une poli­tique plus réa­liste, autre­fois de mise chez les répu­bli­cains. C’est le mes­sage que veut faire pas­ser Jus­tin Vaïsse dans son étude. Lorsqu’il rap­pelle — trop rapi­de­ment à notre goût — les ori­gines fran­çaises et révo­lu­tion­naires de ce mes­sia­nisme démo­cra­tique, il aurait pu évo­quer les mânes de Robes­pierre, lan­çant aux Jaco­bins lors du débat sur la guerre de 1792, per­sonne n’aime les mis­sion­naires armés .

f. le moal

   
 

Jus­tin Vaïsse, His­toire du néo­con­ser­va­tisme aux Etats-Unis, Paris, Odile Jacob, 2008, 337 pages, 29 euros

 
     

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