Frédéric Martinez, Prends garde à la douceur des choses. Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux

À un lec­teur tant soit peu exi­geant, comme l’est a priori celui qui s’intéresse à Tou­let, l’ouvrage de F. Mar­ti­nez pose un problème…

Comment peut-on écrire des phrases comme Plus qu’un écri­vain, Tou­let est un sen­ti­ment, un état d’âme (p. 7), La Ville lumière n’est pas tendre pour les cœurs soli­taires (p. 13) ou Les petites femmes font la grande lit­té­ra­ture (p. 231), et se piquer de tou­let­ti­ser par ailleurs ? L’avant-propos et le « Pro­logue », que l’auteur a jugés indis­pen­sables en guise d’ouverture, pour­raient suf­fire à vous faire refer­mer le livre ; cepen­dant, mieux vaut pour­suivre la lec­ture, car en dépit d’un cer­tain manque de sens (auto)critique, Mar­ti­nez a réussi une bio­gra­phie assez appré­ciable, dont les qua­li­tés tiennent avant tout à la manière sen­sible et bien docu­men­tée dont il traite son sujet. Par com­pa­rai­son avec le Paul-Jean Tou­let de Pierre-Olivier Wal­zer et le Paul-Jean Tou­let au bord du Gave d’Alexis Ichas, ce livre donne une image plus vivante de l’écrivain, y com­pris sur le plan psy­cho­lo­gique. Mar­ti­nez a su repré­sen­ter de façon cré­dible ses états d’esprit de telle ou telle période — l’enfance, l’âge du lycée, la jeu­nesse, les années pari­siennes… -, à l’aide du contexte fami­lial ou ami­cal, comme en recons­ti­tuant le cadre pré­cis où Tou­let a vécu les évé­ne­ments qui l’ont marqué.

Le choix de cita­tions qui vient étayer les évo­ca­tions de lieux comme la mai­son où Tou­let a grandi, son col­lège ou le châ­teau de la Rafette, est habile dans la mesure où il paraît tou­jours appro­prié, jamais forcé, ce qui est rare dans ce genre d’ouvrages. Au fil des cha­pitres, nous sommes por­tés à une sym­pa­thie crois­sante pour le per­son­nage, non­obs­tant ses défauts que Mar­ti­nez évite au pos­sible d’occulter. Concer­nant la vie pri­vée de Tou­let, l’auteur a peut-être trop insisté sur l’importance de la mère défunte (pour en tirer des conclu­sions faciles), alors qu’il a négligé la figure de Marie Ver­don, l’ancienne maî­tresse épou­sée sur le tard, qui aurait mérité des recherches plus pous­sées, de même que les der­nières années de Tou­let. Cepen­dant, le don­jua­nisme de l’écrivain, sa liai­son avec Yvonne Ver­non et ses ami­tiés (notam­ment avec Cur­nonsky et Debussy) sont trai­tés avec finesse, sous un angle qui évite la sim­pli­fi­ca­tion dont pâtissent d’autres bio­gra­phies. Ces qua­li­tés font que la majeure par­tie de l’ouvrage se lit avec un vif inté­rêt, mal­gré les for­mules à l’emporte-pièce et les truismes qui l’émaillent.

Sur le plan pro­pre­ment cri­tique, en revanche, le tra­vail de Mar­ti­nez n’est guère satis­fai­sant : l’on reste sur l’impression que tout en citant Borges pour qui Tou­let était l’un des plus par­faits poètes de la lit­té­ra­ture fran­çaise (p. 323), l’auteur n’est pas arrivé à se faire une idée pré­cise de la valeur de l’œuvre en ques­tion. Ainsi, il sous-estime mani­fes­te­ment Les Contre­rimes (tout en se disant sous leur charme), et ses remarques épar­pillées sur la prose de Tou­let ne finissent jamais par consti­tuer une appré­cia­tion d’ensemble. C’est bien dom­mage, car à l’heure actuelle, l’apport de Tou­let aux lettres fran­çaises a encore grand besoin d’être expli­cité et pré­cisé : il manque tou­jours, pour cet écri­vain, un cri­tique qui sache mettre en valeur son impor­tance excep­tion­nelle dans le domaine poé­tique, et trier le bon grain de l’ivraie pour ce qui est de sa prose, majo­ri­tai­re­ment ali­men­taire et sou­vent gâchée aussi par la pro­pen­sion à publier sans guère se relire.

Quoiqu’on regrette les défauts de l’ouvrage, s’il nous fal­lait recom­man­der une seule des publi­ca­tions actuel­le­ment dis­po­nibles sur Tou­let, ce serait celle-là : l’apport pro­pre­ment bio­gra­phique, l’empathie de Mar­ti­nez avec son sujet et le choix de cita­tions rendent ce livre objec­ti­ve­ment pré­fé­rable aux autres, pour un lec­teur averti comme pour un néophyte.

a. de lastyns

   
 

Fré­dé­ric Mar­ti­nez, Prends garde à la dou­ceur des choses. Paul-Jean Tou­let, une vie en mor­ceaux, Tal­lan­dier, sep­tembre 2008, 349 p. — 20,00 €.

 
     
 

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