À un lecteur tant soit peu exigeant, comme l’est a priori celui qui s’intéresse à Toulet, l’ouvrage de F. Martinez pose un problème…
Comment peut-on écrire des phrases comme Plus qu’un écrivain, Toulet est un sentiment, un état d’âme (p. 7), La Ville lumière n’est pas tendre pour les cœurs solitaires (p. 13) ou Les petites femmes font la grande littérature (p. 231), et se piquer de toulettiser par ailleurs ? L’avant-propos et le « Prologue », que l’auteur a jugés indispensables en guise d’ouverture, pourraient suffire à vous faire refermer le livre ; cependant, mieux vaut poursuivre la lecture, car en dépit d’un certain manque de sens (auto)critique, Martinez a réussi une biographie assez appréciable, dont les qualités tiennent avant tout à la manière sensible et bien documentée dont il traite son sujet. Par comparaison avec le Paul-Jean Toulet de Pierre-Olivier Walzer et le Paul-Jean Toulet au bord du Gave d’Alexis Ichas, ce livre donne une image plus vivante de l’écrivain, y compris sur le plan psychologique. Martinez a su représenter de façon crédible ses états d’esprit de telle ou telle période — l’enfance, l’âge du lycée, la jeunesse, les années parisiennes… -, à l’aide du contexte familial ou amical, comme en reconstituant le cadre précis où Toulet a vécu les événements qui l’ont marqué.
Le choix de citations qui vient étayer les évocations de lieux comme la maison où Toulet a grandi, son collège ou le château de la Rafette, est habile dans la mesure où il paraît toujours approprié, jamais forcé, ce qui est rare dans ce genre d’ouvrages. Au fil des chapitres, nous sommes portés à une sympathie croissante pour le personnage, nonobstant ses défauts que Martinez évite au possible d’occulter. Concernant la vie privée de Toulet, l’auteur a peut-être trop insisté sur l’importance de la mère défunte (pour en tirer des conclusions faciles), alors qu’il a négligé la figure de Marie Verdon, l’ancienne maîtresse épousée sur le tard, qui aurait mérité des recherches plus poussées, de même que les dernières années de Toulet. Cependant, le donjuanisme de l’écrivain, sa liaison avec Yvonne Vernon et ses amitiés (notamment avec Curnonsky et Debussy) sont traités avec finesse, sous un angle qui évite la simplification dont pâtissent d’autres biographies. Ces qualités font que la majeure partie de l’ouvrage se lit avec un vif intérêt, malgré les formules à l’emporte-pièce et les truismes qui l’émaillent.
Sur le plan proprement critique, en revanche, le travail de Martinez n’est guère satisfaisant : l’on reste sur l’impression que tout en citant Borges pour qui Toulet était l’un des plus parfaits poètes de la littérature française (p. 323), l’auteur n’est pas arrivé à se faire une idée précise de la valeur de l’œuvre en question. Ainsi, il sous-estime manifestement Les Contrerimes (tout en se disant sous leur charme), et ses remarques éparpillées sur la prose de Toulet ne finissent jamais par constituer une appréciation d’ensemble. C’est bien dommage, car à l’heure actuelle, l’apport de Toulet aux lettres françaises a encore grand besoin d’être explicité et précisé : il manque toujours, pour cet écrivain, un critique qui sache mettre en valeur son importance exceptionnelle dans le domaine poétique, et trier le bon grain de l’ivraie pour ce qui est de sa prose, majoritairement alimentaire et souvent gâchée aussi par la propension à publier sans guère se relire.
Quoiqu’on regrette les défauts de l’ouvrage, s’il nous fallait recommander une seule des publications actuellement disponibles sur Toulet, ce serait celle-là : l’apport proprement biographique, l’empathie de Martinez avec son sujet et le choix de citations rendent ce livre objectivement préférable aux autres, pour un lecteur averti comme pour un néophyte.
a. de lastyns
Frédéric Martinez, Prends garde à la douceur des choses. Paul-Jean Toulet, une vie en morceaux, Tallandier, septembre 2008, 349 p. — 20,00 €. |
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