Publiés ou non, inachevés, en cours ou en réserve, tentatives réussies ou avortées, les textes de Danielle Mémoire forment ce qu’elle nomme son Corpus où plus qu’ailleurs l’écrit fait masse. A côté de l’auteure elle-même, certains de ses personnages font sécession, prennent le large et se prétendent eux-mêmes « fictionneurs ».
Pour autant, Danielle Mémoire ne s’en soucie guère : elle a mieux à faire en fomentant une succession de canyons et abysses propres à faire circuler ou engloutir bien des maternités et des paternités. Pas de quoi en faire un fromage mais un livre. Il est plus drôle qu’apocalyptique. Si bien qu’entre « scoops » contradictoires l’auteure reste une des figures majeures de la diction du son temps.
« L’Esclarmonde » garde une écriture élégante et astucieuse. Tout y est intelligent. Versions avérées et apocryphes, variantes, remords et repentirs avancent toujours un peu plus vers ce que Blanchot nomma paradoxalement « l’inachèvement ». Danielle Mémoire introduit du mensonge dans celui de la fiction. La formule algébrique : — + — = + est parfaite. « Le canular devient fiction » disait jadis (mais il n’y a pas si longtemps) la créatrice. Elle multiplie les « objections », les pas en avant et en arrière.
Dire une chose et son contraire crée chez elle l’hésitation nécessaire à un espace de vérité dont des poètes, bien plus quelconques qu’elles, prétendent en être — mais ce n’est que poses — les Lacan gourous.
jean-paul gavard-perret
Danielle Mémoire, Les auteurs, P.O.L, Paris, 2017.