François, le héros du livre de Henrot, est d’abord un homme de peu, vindicatif qui pousse sa vie devant lui comme il peut. Dans ce mouvement délétère, suivant la vie de son père, il est devenu maître du mandrin et de la percussion frontale en abattoir. Il le fait, un temps, de manière sinon instinctive du moins mécanique mais non sans difficulté et angoisse. Et il suffit de quelques grains de sable pour que tout bascule.
Peu à peu, le héros se rapproche du poète et porcher qui accouche sa truie avec une délicatesse de sage-femme et d’Angelica sa vague amoureuse et éleveuse pour qui « la chair a de la mémoire ».
François — après la mort de son père dont le corps ne peut que rappeler ceux des animaux qu’il n’a cessé de tuer et témoins de la torture de deux de ses collègues sur une bête blessée — comprend la souffrance des bêtes et quitte son métier. Il se réfugie dans l’écriture afin d’échapper à son univers d’impasse.
Il comprend que « La question du sang ne se pose pas qu’à un tueur en abattoir car si la terre ne pouvait plus absorber une goutte de plus ? ». Telle est donc la question de livre qui remonte l’histoire de l’animal consommable du pré à la barquette de supermarché et passant par toutes les étapes de transferts et d’équarrissage. Le livre — et jusqu’à ce que le héros fusionne avec un paysage cosmique — est fort par les pages qui mettent l’accent de manière hallucinatoire sur un voyage en absurdie. Lorsque le militantisme est plus direct et appuyé, il perd de sa puissance.
C’est donc le roman « poétique » plus que celui à thèse qui convainc et séduit. Dès qu’elle démontre, la fiction pèse. Dès qu’elle s’envole, elle prend une dimension exponentielle.
Il faut souhaiter à Henrot de remiser son côté militant et de faire fructifier sa capacité à engendrer un merveilleux particulier : celui qui ni ne spiritualise, ni n’édulcore mais donne à la prise du réel une valeur de fable agissante.
jean-paul gavard-perret
Errol Henrot, Les Liens du sang, Le Dilettante, Paris, 2017, 192 p. — 16,50 €.