Richard Russo, A malin, malin et demi

Shérif­fiffi

Comme les pré­cé­dents romans de l’auteur, celui-ci se déroule dans une ville ima­gi­naire de l’Etat de New-York — North Bath — plus proche de sa capi­tale (Albany) que de la Grosse Pomme. Tout y est pro­vin­cial, sur­anné en décré­pi­tude éco­no­mique voire « morale ». Cha­cun tue le temps comme il le peut entre dés­illu­sion et doute. Le tout non sans humour dont le cur­seur est placé tou­jours au bon endroit. C’est-à-dire haut.
Ce gros livre se déroule en 48 heures. S’y agrègent de nom­breux fla­sh­backs. S’ils sont une siné­cure vomi­tive au cinéma, ils passent ici comme une lettre à la poste. Et ce, en dépit de leur carac­tère expli­ca­tif dont l’aspect robo­ra­tif n’est pas exclu. Néan­moins, grâce à eux un lec­teur igno­rant des pré­cé­dents romans de l’auteur où cer­tains per­son­nages étaient déjà là  peut appré­cier sans pro­blème ce nou­vel opus.

Désor­mais, la ville ne peut échap­per au déclin. Du parc d’attraction noyé dans un marais aux pro­jets immo­bi­liers arrê­tés pour des rai­sons de mal­fa­çon, tout va à vau-l’eau. Et il n’est pas jusqu’aux tombes à sor­tir de leur trou les jours d’orages. Elles remettent au jour des défunts guère éton­nés de revoir le jour. Face à ce lieu pes­ti­len­tiel, la ville de Schuy­ler Springs semble lui faire la nique. L’opposition est quelque peu cari­ca­tu­rale, mais c’est au ser­vice d’une intrigue où le mons­trueux plus que l’ineffable ne cesse d’arriver pen­dant un laps de temps réduit.
Le côté drôle est réussi, le côté dis­cur­sif plus indi­geste. Richard Russo charge ses per­son­nages de manière consé­quente. C’est par­fois un peu facile vu qu’il s’agit en géné­ral de pauvres bougres à l’intelligence limi­tée. Cela manque un peu de ten­dresse. Tout tient néan­moins debout (si l’on peut dire) par le per­son­nage cen­tral : le chef de la police com­plè­te­ment débordé par les évè­ne­ments. Ce qui se conçoit par­fai­te­ment vu la qua­lité des seconds et les lacunes du premier.

Flic des moins pro­fes­sion­nels, il existe néan­moins bien des excuses à son incom­pé­tence et sa pusil­la­ni­mité. Obsédé par la mort acci­den­telle de son épouse à la cuisse légère et par la porte de garage de son der­nier amant dont il ignore le nom, il est à l’image de ceux qu’il a la charge de « pro­té­ger » : du car­diaque incon­sé­quent en dépit de la for­tune qui lui tend les bras au patron de BTP aussi nul que tour­menté par sa libido — dont son épouse ne béné­fi­cie guère.
Seules d’ailleurs les femmes sont sau­vables et sol­vables. Mais l’ensemble brin­gue­bale à sou­hait. Et c’est ce qui fait le charme de ce livre impi­toyable. Sans l’humour il serait tota­le­ment angois­sant. Bref, Russo fait bien plus que sau­ver les meubles là où pour­tant tout est oppres­sant tant les failles humaines sont immenses et ceux qui les subissent presque irré­cu­pé­rables. Le presque est important.

jean-paul gavard-perret

Richard Russo, A malin, malin et demi, Edi­tion Quai Vol­taire, 2016, 624 p.

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