Anthony Trollope, Le Docteur Thorne

On est tou­jours heu­reux de retrou­ver ce grand roman­cier, même quand la tra­duc­tion ne lui rend pas tout à fait hommage

Après Quelle époque  ! que j’avais eu le plai­sir de recen­ser ici, les édi­tions Fayard nous pro­posent le plus grand suc­cès d’Anthony Trol­lope, Le Doc­teur Thorne, lui aussi tra­duit et pré­facé par Alain Jumeau. Ce roman est d’une enver­gure nar­ra­tive moindre, étant essen­tiel­le­ment cen­tré sur une figure de jeune femme, Mary, de nais­sance obs­cure et qui n’a pour com­men­cer pas beau­coup d’espoir d’épouser son amou­reux, Franck Gre­sham, héri­tier d’une famille aussi noble et pré­somp­tueuse que désar­gen­tée. Les parents du jeune homme sou­haitent lui voir épou­ser « une for­tune » ; lui jure de res­ter fidèle à Mary, même si sa vanité et sa légè­reté (à vingt-deux ans, Franck « est encore vrai­ment un gamin ») le poussent à flir­ter, notam­ment avec la richis­sime Miss Duns­table. Para­doxa­le­ment, cette der­nière le pré­fère comme ami que comme fiancé et l’incite le plus vive­ment du monde à épou­ser Mary, quitte à déplaire à toute sa famille.
La suite de l’intrigue com­porte un enchai­ne­ment de péri­pé­ties, à la fois cocasses et tou­chantes, qui mènent au dénoue­ment assez pré­vi­sible fait pour enchan­ter les lec­teurs sen­sibles. Par com­pa­rai­son avec Quelle époque !, ce roman est plus sen­ti­men­tal, moins com­plexe et moins ancré dans son temps. Cepen­dant, on y retrouve la plu­part des grandes qua­li­tés de Trol­lope : l’ironie omni­pré­sente et jubi­la­toire, la cri­tique de la société vic­to­rienne, l’art de por­trai­tu­rer et le jeu avec le lec­teur, qui passe par de nom­breuses interpellations.

C’est là un point com­mun avec l’autre grand maître du roman anglais, William Tha­cke­ray, dont nous avons aussi com­menté l’année der­nière la plus récente paru­tion (heu­reuse ini­tia­tive des édi­tions du Revif, à l’occasion du bicen­te­naire de sa mort, avec la nou­velle et très belle tra­duc­tion de Le Veuf et l’ingénue).
Autre point fort du Doc­teur Thorne, ses per­son­nages secon­daires. Parmi eux, les femmes se dis­tinguent par leurs défauts, à quelques excep­tions près, dont Miss Duns­table, Patience Oriel et Bea­trice Gre­sham, trois jeunes femmes plu­tôt aimables, au contraire de leurs aînées. Du côté des hommes, on trouve sur­tout des per­son­nages falots, comme le squire Gre­sham, qui a perdu toute la for­tune fami­liale pour s’être laissé mener par le bout du nez par une épouse éprise de gran­deur, ou des ivrognes risibles comme les nou­veaux riches de la famille Scat­cherd. En revanche, le méde­cin qui donne son titre au roman a beau avoir des défauts comiques tels que la manie de noblesse, il reste appré­ciable, voire admi­rable par sa bonté, sa droi­ture et son affec­tion indé­fec­tible pour Mary — sa nièce.

Le seul désa­gré­ment que l’on puisse trou­ver à la lec­ture de ce roman vient de cer­tans pas­sages où la tra­duc­tion est si mal­adroite qu’on croi­rait un pre­mier jet. On sup­pose qu’Alain Jumeau n’a pas eu le temps de la peau­fi­ner autant que celle, fort réus­sie, de Quelle époque ! et on espère que sa pro­chaine tra­duc­tion de Trol­lope ren­dra mieux hom­mage au talent du maître.

agathe de lastyns 

Anthony Trol­lope, Le Doc­teur Thorne, pré­facé, annoté et tra­duit de l’anglais (Royaume-Uni) par Alain Jumeau, Fayard, février 2012, 522 p. — 25,00 €.

 

   
 

 

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