Francesca, empoisonneuse à la cour des Borgia

Une empoi­son­neuse un peu fade

1492. Le cœur de la chré­tienté vit une période trou­blée, entre obs­cu­ran­tisme et avè­ne­ment des Lumières. Les alliances se font et se défont au gré des luttes de pou­voir. Dans la cou­lisse, un homme puis­sant tire les ficelles et tente par tous les moyens d’amener sa famille au som­met.
Les Bor­gia, leurs mani­gances et leurs frasques en tous genre semblent fas­ci­ner notre époque avide de gloire et de vio­lence. À l’instar de la série télé­vi­sée qui bat des records d’audience en France (elle a connu le même suc­cès outre-atlantique), ce roman s’attache les ser­vices d’une his­toire où la réa­lité n’a rien à envier à la plus auda­cieuse des œuvres de fic­tion, en matière d’intrigues et de rebon­dis­se­ments. La Renais­sance ita­lienne, époque foi­son­nante s’il en est, ins­pire les auteurs. Sara Poole la divise clai­re­ment en deux pôles : d’un côté les fastes du Vati­can, l’Inquisition, l’édit d’expulsion des Juifs d’Espagne, les luttes intes­tines bien éloi­gnées de la foi qui leur sert de pré­texte, la misère puante et la peur qu’elles génèrent, et de l’autre l’espoir sus­cité par l’émergence d’une société secrète, Lux, conduite par des hommes et des femmes de bonne volonté.

Dans les arcanes de la papauté, Rodrigo Bor­gia pré­pare son acces­sion au saint siège. Inno­cent VIII est mou­rant, il se mur­mure qu’il s’abreuve de lait mater­nel, ou pire, du sang de jeunes gar­çon, dans sa lutte aveugle pour la vie éter­nelle. Les rumeurs vont bon train, et l’empoisonnement est en vogue.
Dans ce contexte, Fran­cesca Gior­dano devient bien mal­gré elle l’empoisonneuse atti­trée de la famille Bor­gia. Mais son métier consiste moins dans le fait de don­ner la mort que dans celui de pré­ser­ver la vie de Rodrigo — futur Alexandre VI à l’issue du conclave resté dans les annales du genre comme le plus cor­rompu de l’histoire — et de sa famille : Lucrèce, qui n’est encore qu’une toute jeune fille, douce, aimante et inno­cente ; la belle Giu­lia, maî­tresse du car­di­nal ; et dans une moindre mesure — qui peut pro­té­ger un être aussi insai­sis­sable ? — César, tout jeune homme mais déjà aussi atti­rant que redoutable.

Voilà qui offrait matière à best-seller. Mal­heu­reu­se­ment pour le lec­teur, si le point de départ est allé­chant, la plume de Ms Poole n’est pas très convain­cante. Elle choi­sit de faire racon­ter l’histoire à son per­son­nage prin­ci­pal, Fran­cesca, qu’elle auto­rise sous ce pré­texte à toutes les digres­sions — qu’il s’agisse d’atermoiements psychologico-ésothérico-théologiques, de cir­con­vo­lu­tions amou­reuses, d’explicitations his­to­riques ou de des­crip­tions archi­tec­tu­rales -, ren­dant le récit par­fois trop lent, par­fois labo­rieux, sou­vent répé­ti­tif.
Pour­tant, cer­tains per­son­nages sont dignes d’intérêt, comme David et Sofia, dont les inter­ven­tions donnent au roman un peu de pro­fon­deur, ou Rocco, dont le charme bourru apporte une bouf­fée de fraî­cheur.
Mais ils sont sacri­fiés sur l’autel de la lit­té­ra­ture de masse, en quête de chiffres au détri­ment de la qua­lité. Dom­mage, car avec un tel sujet et l’engouement qu’il sus­cite, on aurait pu viser les deux à la fois.

agathe de lastyns

 

   
 

Sara Poole, Fran­cesca, empoi­son­neuse à la cour des Bor­gia, tra­duit de l’anglais (États-Unis) par Patri­cia Barbe-Girault, MA Edi­tions, novembre 2011, 416 p.- 19,90 €

 
     

 

 

 

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