Raphaël Eymery, Pornarina

Une intrigue pauvre qui ne sup­porte pas l’épaisseur des per­son­nages qu’elle anime

Porna­rina est un ouvrage qui appel­lera autant d’opinions diver­gentes qu’il comp­tera de lec­teurs. L’imagination et la plume qu’on y trouve méritent une atten­tion par­ti­cu­lière. Mais elles servent ici une intrigue qui, au-delà de l’ambiance dans laquelle elle s’inscrit, perd très vite de son inté­rêt mal­gré une 4ème de cou­ver­ture plu­tôt racoleuse.

C’est ainsi qu’on entre dans la vie du Doc­teur Franz Bla­zek (vieux téra­to­logue et fils de sœurs sia­moises) et d’Antonie (une jeune femme au sque­lette élas­tique recueillie et éle­vée par le doc­teur en marge de la société). Tous deux vivent pour ainsi dire reclus dans un châ­teau moyen­âgeux où s’accumulent, pour lui, les fruits et témoi­gnages de son exper­tise et, pour elle, les idées que l’on peut se faire de l’Autre et du Monde dans un uni­vers aussi sombre que celui dans lequel son père adop­tif l’a faite évoluer.

Depuis des décen­nies, Bla­zek, comme beau­coup d’autres « Por­na­ri­no­logues », vouent à Por­na­rina (une légen­daire pros­ti­tuée à tête de che­val qui assas­sine ses amants en les émas­cu­lant à coup de mâchoire) un culte qui les pousse, ensemble, à se réunir et à dis­ser­ter sur le sujet de leur pas­sion et, concur­rem­ment, à la pis­ter avec l’espoir ultime et fan­tas­mique de mettre la main des­sus et de la ren­con­trer.
Bla­zek a une petite lon­gueur d’avance sur ses homo­logues grâce aux infor­ma­tions que lui livre un contact dont il dis­pose en Ita­lie. Mais, bien­tôt, la source se tarit. Bla­zek envoie alors Anto­nie sur les traces de son infor­ma­teur. En se lan­çant, à son tour, sur les traces de la pros­ti­tuée mais, sur­tout et fina­le­ment, sur les traces de ceux qui la traquent éga­le­ment, Anto­nie va évo­luer et révé­ler ses propres déviances. Elle devien­dra Anto­nia, figure muta­tion­nelle de la pros­ti­tuée tant recherchée.

Plai­sirs
A tra­vers cet ouvrage, l’auteur donne vie à une poi­gnée de per­son­nages hors normes qui évo­luent dans un uni­vers sombre ou le corps tout entier est aban­donné aux déviances de l’esprit. Un tel contexte suf­fit déjà à éveiller la curio­sité. Lorsque, de sur­croît, on sait que tous ces per­son­nages ont consa­cré leur vie à ten­ter (sans suc­cès) de retrou­ver une pros­ti­tuée à tête de che­val (méta­pho­ri­que­ment, les deux meilleurs amis de l’homme réunis en une seule entité) pré­ten­du­ment res­pon­sable d’un grand nombre d’homicides par cas­tra­tion, l’intérêt (évi­dem­ment mal­sain) se joint à la curio­sité.
On se laisse alors embar­quer par l’histoire et on loue l’audace et l’inventivité de l’auteur. Enfin quelque chose qui sort de l’ordinaire et qui nous conduit tout droit dans (ou tout au fond d’) un uni­vers néo­go­thique où les déviances humaines fleu­rettent bon avec le macabre et le sexe. Com­ment res­ter indifférent ?

On a du mal, car les déviances ne laissent jamais de marbre et le tout est mis en texte par une plume soi­gnée, sophis­ti­quée, éru­dite, qui informe, détaille, dis­sèque, le plus sou­vent avec jus­tesse et par­fois même beauté, y com­pris lorsque la lai­deur s’en mêle. Elle donne du galon aux déviances qu’elle hisse sur l’autel de la patho­lo­gie. Elle fait des per­sonnes qu’elle dirige et de la dépra­va­tion qui les habite des points de mire, des centres d’intérêts à eux seuls qui, à n’en point dou­ter, vont ali­men­ter une intrigue à la hau­teur de leur déme­sure.
La machine est lan­cée. Tous les ingré­dients sont là pour faire mon­ter une magni­fique mayon­naise et les pages défilent.

Regrets / reproches
Mais les pages ont beau défi­ler, la mayon­naise ne prend pas. Et on finit mal­heu­reu­se­ment par devi­ner qu’elle ne pren­dra pas. Le fil du récit s’enlise dans des des­crip­tions qui confinent tan­tôt au cata­logue tan­tôt à la petite gale­rie des hor­reurs. Pas­sée la sur­prise des per­son­nages, du contexte et de l’ambiance, l’intrigue s’essouffle, perd en cohé­rence et, s’avérant trop pauvre pour sup­por­ter l’épaisseur des per­son­nages qu’elle anime, finit par mou­rir bien avant la fin de l’ouvrage.
Fin qui, d’ailleurs, n’offre rien et déçoit. On reste avec cette impres­sion qu’au fil des pages, les per­son­nages sont deve­nus orphe­lins de l’histoire dont il avaient besoin pour expri­mer leur poten­tiel. Et le lec­teur de tou­jours escomp­ter un rebond scé­na­ris­tique qui le tienne en émoi.

dar­ren bryte

Raphaël Eymery, Por­na­rina, Denoël (Lunes d’Encre), 2017, 208 p. – 19,00 €.

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Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

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