Cézanne reste un cas dans la peinture tant par son esthétique, ses couleurs, ses séries et aussi sa vision des femmes. Pour le peintre, la femme en tant que modèle est belle lorsqu’elle est laide et qu’« elle ressemble à un homme ». Même ses baigneuses sont douteuses (Hervé Castanet y voit une Diane aux bains, index de la peinture elle-même), même si elles permirent à une jeunesse du XIXème une première approche de la féminité.
Mais le peintre ne s’est jamais contenté de la représentation. Voyeur à la place du voyeur, il donne de la féminité une énigme. Il est vrai que ces baigneuses ont parfois été considérées comme des semi-remorques garées sur un parking. C’est cruel pour les camions. Comme pour ces camionneuses qui resteront un mystère pour Cézanne. Il sera plus à l’aise avec les montagnes. Néanmoins, dans le portait comme ailleurs il se veut « plus fort que les autres » comme il l’avoua uniquement à celle qui fut la première des femmes et peut-être la seule : sa mère.
Néanmoins, ces deux cents portraits (dont vingt-six autoportraits) montrent comment ce genre est pour lui un travail particulier voire un exorcisme et parfois une discussion impossible (en particulier avec sa mère). Le problème de la ressemblance et de l’identité y sont transfigurés. Sa Léda au Cygne devient une buveuse d’alcool pétillant. Et tout est fait pour échapper au temps du réalisme, en dépasser les bords. Se crée une stratégie où le peintre est libre de son interprétation là où tout reste toutefois créé de manière articulée au sein d’une apparence vériste.
Cézanne ne cesse d’ouvrir la caverne platonicienne afin d’y faire entrer la lumière et reculer le temps. Les couleurs se répandent par fragments et plans denses mais légers. Le moindre n’est plus ombre. Se retrouve une clarté étrange. Tous les trajets du peintre sont là pour faire qu’ils remplissent l’espace d’éléments multiples dans le dédale d’un puzzle moins dépareillé qu’il n’y paraît. L’artiste fait donc entrer le portrait dans une vision inédite pour immortaliser les êtres qui lui furent chers et dont il retarda la « fuite » au cœur de son intimité.
jean-paul gavard-perret
Cézanne, Portraits, Ouvrage collectif d’Alex Danchev, John Eledrfield, Annabelle Mathias, Mary G. Morton, Xavier Rey et de Jayne S. Warman, Coédition Gallimard / Musée d’Orsay, Paris, 2017.