Une très sombre histoire de cupidité
C’est l’Espagne après 2008 qui sert de toile de fond à ce récit, la crise économique qui l’a touchée, comme tant d’autres pays. La romancière décrit une population diversement frappée où évolue une galerie de personnages aux caractères et à la psychologie complexes. Ils sont cependant, animés des principaux sentiments qui gouvernent l’être humain en général, à savoir, la haine, l’amour, la cupidité, l’ambition, le désir de vengeance, la jalousie…
Dans un Madrid en proie au chômage, des bijoutiers se reconvertissent dans l’achat d’or et de matières précieuses avec toute la gamme des malhonnêtetés possibles. Face à des gens dans la misère, il est facile de négocier, d’imposer des prix dérisoires. Juana Salabert donne vie à un personnage particulièrement odieux dont elle dévoile, au fil de son récit, toutes les capacités de nuisances dont il était capable. Cependant, elle sait que malgré la noirceur dont peuvent faire preuve des individus, ils peuvent avoir une faiblesse, un talon d’Achille, faire montre d’étincelles de bonté.
C’est le lendemain de Noël qu’une femme découvre, entre deux conteneurs de poubelles, le cadavre d’un homme égorgé, un message épinglé sur la poitrine. C’est le troisième “cash-or” assassiné en un trimestre. L’inspecteur Alarde, du groupe IV des Homicides mène l’enquête. Le mort est vite identifié. Il s’agit de Fabián Domínguez Rota, un bijoutier du quartier. Dans la boutique, l’enquêteur rencontre la secrétaire de Rota, une femme rigide, à son service depuis quarante ans et une jeune vendeuse recrutée récemment.
C’est un romancier, un voisin de Berta, une collègue, qui apporte le plus d’éléments à Alarde, décrivant le “cash-or” comme un usurier, maître-chanteur à l’occasion. C’était un de ces individus avaricieux mais propriétaire d’un parc immobilier à faire rêver. Alarde prend contact avec la famille du défunt, sa fille puis son fils aîné. Tous deux cultivent un fort ressentiment vis-à-vis de leur jeune frère à qui le père passait tout, les caprices, les frasques, les dépenses inconsidérées.
Peu à peu l’inspecteur tire les fils de l’écheveau et entre dans un univers complexe, dans les mécanismes que la cupidité exacerbée a permis de mettre en place telles que les spoliations et surtout l’usure avec toutes ses déclinaisons et ses conséquences. Et si, pour les deux premiers meurtres les indices étaient maigres et les suspects peu nombreux, pour Rota, ils sont légion…
En suivant les investigations d’Alarde, la romancière développe les mécanismes financiers qui permettent à certains de s’enrichir quand les autres sombrent dans la misère. Elle détaille les rouages des évasions fiscales, des chantages, des exactions financières. Par le biais d’un de ses protagonistes, elle s’en prend aux hommes politiques, dénonce leur cynisme, leur lâcheté leur médiocrité. Elle met en accusation la fameuse règle d’or imposée par l’Allemagne de Merkel et les technocrates européens qui suivent ces diktats, regrettant de ne pas voir un nouveau Charles de Gaulle pointer à l’horizon.
Parallèlement à un paysage social sinistre, elle entre dans les liens familiaux et montre qu’au niveau de la cellule domestique les sentiments peuvent être aussi exacerbés et mener à des situations cruciales. Elle dépeint avec justesse et finesse ce que l’on trouve dans beaucoup de foyers et qui a fait écrire à André Gide, dans un autre contexte, son fameux : “Familles, je vous hais !”
Ces récits s’articulent autour d’une enquête policière de type classique, bien structurée, menée avec énergie, un élément essentiel pour décrire un pays, un peuple dans la misère par la seule volonté de quelques individus aux objectifs bornés avec des cancrelats qui se goinfrent profitant de la situation.
Juana Salabert, par ailleurs critique littéraire et traductrice, dont peu de livres sont traduit en France, offre, avec La Règle de l’or, une histoire forte, âpre, au climat délétère servie par une galerie de personnages marquants. Un grand roman !
serge perraud
Juana Salabert, La Règle de l’or (La Regla des oro), traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse, Éditions Métailié, coll. “Bibliothèque Hispanique — Noir”, mai 2017, 288 p. – 18 €.