Juliette Lemontey vise à la fois à rassembler et défaire le portrait. La « chaîne » visuelle est obtenue par une atomisation du visage. Puisque, d’une œuvre à l’autre ‚il s’efface, se construit un rythmique capable d’atteindre des zones où se posent les questions beckettiennes du « qui je suis » » et de « si je suis ». Les images renforcent une sorte épuisement potentiel même si le schéma vital demeure dans les actes que les femmes semblent accomplir au sein d’une « prise » plastique qui rappelle l’art japonais sans chercher toutefois à le singer.
La vie et la l’art deviennent concomitants au sein d’une errance dont le but demeure indéterminé. Les femmes semblent se perdre aux rayons d’un mince soleil d’hiver au fond de divers indices d’un décor improbable. Les paysages fondent. Voici un bout de monde dans l’obscure clarté où soudain même le visage a glissé.
Reste un ovale sans voix, sans visage. Le cri est interdit. Autant à la joie qu’à la douleur. Tout se joue entre le corps et l’espace vidé du portrait. Qu’en est-il donc de l’être ? Apparemment, il n’est que son silence au sein de l’esquisse visuelle. Comment savoir qui se cache derrière ? Au chaos l’artiste impose son propre « désordre », ses glissements. Immobile et mouvante, l’œuvre frissonne d’une plasticité particulière sur laquelle on ne peut porter un jugement moral : des mots comme souffrance ou sérénité demeurent interdits.
Tout ce qu’on peut en dire reste que, au plus profond du support, résonne le silence sans fond. Mais il possède valeur de chant dans lequel on s’enfonce non pour entendre une voix mais afin de trouver la lumière, pour se fondre dedans contre le peut qu’on est.
jean-paul gavard-perret
Juliette Lemontey, Livre, Littérature mineure éditions, Rouen, 2017 — 8,00 €.