Point sur la courbure du monde
L’amour c’est un rêve. Celui d’un échange, d’un souffle, d’un dressage du plaisir entre deux femmes entraînées vers la dernière hébétude dans les plis du cœur et du corps. L’amour c’est « souhaiter une motte à mes reins — elle me chaufferait comme un fer. et c’est contre mon cou déjà son souffle accablé de gros seins car je veux la fille grosse, très, j’en veux une adipeuse et royale, qui bouillirait dans ma nuque avec assez de chair, de régal ». Il faut en effet de la rondeur pour nimber celle qui s’exalte à l’idée d’une gorge offerte et d’une forge pour accomplir le tout-venant, c’est-à-dire l’autre en elle. Assouplies, elles s’accueillent, ouvertes à un bel échange, dans l’entrebâillement que les doigts pratiquent.
Femme défaite, le livre fait loi au rêve. Le couple s’élève. L’une voit en l’autre la reine. Essor majeur, chute mineure. Ou l’inverse sous le plaisir d’étrave, têtes bêches, à moins que chaque partenaire s’avise de prendre son tour dans un bel échange qui fend l’autre pour la sentir. Ecart des mots, des lèvres. Contre soi, fois deux, en un tiraillement sans frein jusqu’à la bouche d’ombre où le cri peut se former. Tanière et crudité : térébrant échange en un bel et long voyage entre les poils couleur tabac. A chiquer.
Après il y aura les peignoirs doux, la crème, le thé brûlant, la douceur apaisante. Après la lutte, le dressage de l’incise intercalée. D’où ces mots où le dit d’amour est amorcé. Bâillent les petites bouches étoilées au ciel de lit fourré dans une taie. L’auteure est palpitante mais distanciée contre le tangage auquel parfois le cœur est soumis. Exit le pathos. Juste la pliure, le gouffre à la va-vite équarri en quelques phrases qui évitent le superflu. Et sans vagues de bonté.
Même si l’autre est tendre, l’amour sera un coup de merlin sur ce qui sertit, étire, fait serrer les jambes, les écarter. La femme rêvée belle et bandante, sa partenaire longe déjà l’intériorité frissonnante. Elle poursuit son errance, sa dérive comme dans les Alyscamps. Souffle rentré. Pour un temps. Pour un temps seulement.
jean-paul gavard-perret
Danièle Momont & Anne-Sophie Tschiegg, Dans ma nuque, Editions litterature mineure, Rouen, 2017 — 8,00 €.