Un grand ministre des Affaires étrangères
Au panthéon des grands ministres des Affaires étrangères, le nom de Vergennes est totalement éclipsé par celui de Talleyrand. Pourtant, ce fidèle serviteur de la monarchie française et ministre compétent de Louis XVI méritait bien une belle et rigoureuse biographie. C’est chose faite maintenant avec celle écrite par Bernard de Montferrand, qui vient d’être récompensée par le Prix de la Biographie (histoire) 2017 de l’Académie Française.
Ce récit absolument passionnant, alimenté par de précieuses archives, révèle la figure d’un grand commis de l’Etat présenté comme « la seule grande gloire de Louis XVI » et le père d’une « conception française de l’équilibre des forces », d’une balance of powers à la française. Le livre, qui plus est écrit par un diplomate et rempli d’allusions subliminales à notre époque, nourrit une réflexion sur ce que doit être une bonne politique étrangère.
Nouvelle preuve des capacités de l’Ancien régime à faire s’élever des individus de qualité, Vergennes, de noblesse robine et provinciale, commence sa carrière comme diplomate, dans l’ombre de son « parrain » Théodore de Chavigny qu’il suit à Lisbonne et à Francfort, avant de diriger lui-même des postes dans le Hanovre, à Constantinople (où il doit assumer les conséquences du renversement d’alliances avec l’Autriche) et en Suède. Puis vient la consécration : la direction de la diplomatie française à l’avènement de Louis XVI avec lequel il tisse des liens très forts.
La diplomatie de Vergennes est celle du réalisme et de l’équilibre au service du droit public et des traités en vigueur. C’est celle d’une Europe apaisée dans laquelle la France jouerait un rôle d’arbitre, protégerait les petits, resterait au-dessus des mêlées. C’est celle qui n’oublie pas que l’Angleterre est une ennemie mais qui vise – et c’est le cœur de l’engagement dans la guerre d’Amérique – à l’affaiblir, condition sine qua non d’une relation de paix sur le long terme. C’est celle qui veille à l’équilibre entre les puissances menacé par l’émergence de la Russie, de la Prusse et… de l’Angleterre.
La France peut ainsi reconquérir une place dans le continent en faisant fi des ambitions les plus folles, aussi bien en Europe que dans les colonies, signer un traité de commerce avec l’Angleterre, garder l’alliance espagnole, reconnaître la Russie comme un acteur des relations internationales.
Ce ministre, issu de la noblesse de robe, marié à une roturière, de mœurs simples et éloignées des turpitudes de la Cour doit sans cesse combattre ses ennemis, le clan pro-autrichien, les va-t-en guerre de la Marine ou la reine. Le soutien du roi ne lui fit jamais défaut et il mourut en fonction, laissant Louis XVI bien seul face aux difficultés internes auxquelles ce quasi Premier ministre lui-même se heurta. Défenseur de la monarchie absolue, il échoua à mener à bien les réformes nécessaires.
La Révolution détruisit, en même temps que son monde, sa politique étrangère modérée et équilibrée au profit de la guerre totale et d’un « radicalisme idéologique » qui rabaissa la puissance de la France dans le monde.
L’histoire parait-il ne se répète jamais. Et pourtant….
frederic le moal
Bernard de Montferrand, Vergennes. La gloire de Louis XVI, Tallandier, avril 2017, 446 p. — 24,90 €.