Zeruya Shalev, Douleur

 Le temps ne peut  mar­cher à rebours

“Douleur” est le nom de code que donne l’héroïne à son amour de jeu­nesse. Elle le retrouve trente années après leur rup­ture. La dou­leur ren­voie aussi à la bles­sure qu’elle a lais­sée. Les vies qui se retrouvent à l’improviste créent une atmo­sphère para­doxale. Elle ramène aussi la mémoire de l’attentat où la nar­ra­trice faillit perdre la vie.
Tout semble dans son pré­sent se déli­ter : sa fille quitte le foyer et a bien des pro­blèmes que la mère doit assu­mer, son fils devient un homme et l’amour de celui qu’elle a épousé « par diver­sion » est quelque peu de l’ordre de la for­ma­lité. Dès lors, les anciens amants se retrouvent dans un vague espoir d’une reprise. Ils s’aiment encore, tou­jours, mais les vies éloi­gnées si elles ne modi­fient pas l’amour le rendent pro­blé­ma­tique quant à son « appli­ca­tion » : « elle n’a même pas le droit de pen­ser à lui, car sou­dain, en un ins­tant d’effroyable luci­dité, elle com­prend : ce n’est que si elle renonce qu’elle pourra deman­der à sa fille de renoncer » .

Le temps ne peut donc mar­cher à rebours. C’est vieux comme le monde, mais en faire l’expérience n’est pas simple. Seul le sou­ve­nir garde le par­fum des fleurs du prin­temps juvé­nile. Tou­te­fois, cet amour de jadis et son impos­si­bi­lité pré­sente nour­rissent la nar­ra­trice : « tan­dis que ses doigts se per­daient dans les pro­fon­deurs de la poche vide de sa vie glisse à pré­sent la main dans l’autre poche et la découvre pleine à cra­quer » . Ainsi, au-delà du retour impos­sible, un écart qui n’est pas de conduite per­met au quo­ti­dien non seule­ment d’être mais d’avancer.
Par cette acro­ba­tie nar­ra­tive, l’auteure sug­gère une part de manque. Mais cela lui per­met de faire des mises au point sur des zones sou­hai­tées du réel afin de mettre en valeur ce qui s’y passe. À la manière d’un archéo­logue, la roman­cière accu­mule des traces de vie d’un pré­sent retombé tout juste dans le passé, elle ras­semble diverses sen­sa­tions, res­sen­tis, preuves du vivant et son ter­rain foi­son­nant et empi­rique. Cela per­met d’évoquer la pré­sence d’une femme par rap­port à son amant, son couple et ses enfants dans sa propre tem­po­ra­lité avec autant de pas­sion que de lucidité.

jean-paul gavard-perret

Zeruya Sha­lev, Dou­leur, trad. hébreu Lau­rence Sen­dro­wicz, Gal­li­mard, Paris, 2017, 401 p. — 21,00 €.

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