Après avoir stupéfié ses lecteurs par la noirceur de Des Nœuds d’acier, les avoir subjugués avec Un vent de cendres, conquis avec Six fourmis blanches, émerveillé avec Il reste la poussière, Sandrine Collette une fois encore crée la surprise avec cet émouvant et violent récit sur la condition de ces femmes exclues de la société par des accidents de la vie.
Moe a fait le mauvais choix quand elle a quitté son île pour suivre Rodolphe qui l’appelait alors sa princesse. Foin des lumières et des plaisirs de Paris, c’est une campagne perdue, la pluie et, pour compléter le tableau, l’arrivée quelques mois plus tard de la mère de Rodolphe. Celui-ci est passé de princesse à la taipouet puis à la gale. Il picole plus que de raison, ne s’intéresse plus à elle. Moe va au bal et revient… avec un enfant. La vieille raconte tous ses faits et gestes. Après six ans de cette vie, elle part car Réjane lui a proposé de l’héberger. Celle-ci, très vite, lui reproche sa présence dans le petit appartement et la met dehors. Après quelques errances, elle finit par se réfugier, avec son bébé, aux urgences de l’hôpital. Sa présence est signalée et elle est emmenée par les Services sociaux à la déplorable réputation. Ceux-ci gèrent une zone, pour les sans-abris, composée de carcasses de voitures mises sur cales et servant de logement. Moe se voit attribuer le matricule 2167 et une Peugeot 306 grise. Elle doit payer un loyer de cent euros par mois. Pour l’argent, elle peut travailler dans les champs avec un salaire horaire de quatre-vingt centimes de l’heure.
Quand elle arrive dans sa ruelle, des femmes discutent. Elle va vers elles pour demander à faire chauffer le biberon. Il y a, réunies, Ada une vieille afghane, Marie-Thé et Nini-peau-de-chien, Jaja et Poule. Ces dames forment un groupe soudé pour faire face à l’adversité. Moe est accueillie, mais la vie reste difficile, le danger permanent et le besoin de partir est toujours pressant. Aussi, quand on lui apprend qu’elle devra, pour quitter La Casse, justifier de ressources suffisantes et qu’elle devra acquitter un droit de sortie, le tout s’élevant à quinze mille euros, Moe s’effondre. Il lui faut travailler treize ans ! Mais, elle est prête à tout pour partir…
Après des intrigues impitoyables dans des décors sauvages, Sandrine Collette replace son récit dans un cadre moins exotique, plus proche, pour explorer la triste réalité des exclus. Elle révèle une ville où des carcasses de véhicules servent de logements. Or, cette description n’est pas très éloigné de ce qui existe, de ces voitures dispersées le long des rues où survivent ceux qui n’ont plus les moyens de payer pour avoir un toit, de ces camps de bric et de broc où s’abritent des impécunieux.
Elle transcrit la détresse de ces gens qui n’ont plus rien dans un monde qui leur est étranger, où tout semble hostile, où ces femmes sont la proie des hommes qui, derrière les services qu’ils proposent, ne sont pas désintéressés et demandent une compensation, un échange charnel. L’auteure illustre la difficulté de fuir, de couper avec une existence misérable mais qui assure un toit et le couvert sans discontinuer.
Partir quand les ressources manquent pour assurer un minimum quotidien relève de la gageure. C’est là une des explications à ces êtres battus, martyrisés qui restent cependant sur place. Elle raconte aussi les obstacles auxquels se heurtent ces mères célibataires, ces femmes seules avec des enfants en bas-âge, sans relations familiales ni amicales. Elle explicite le défi que représente alors la tenue d’un travail quand personne ne peut s’occuper des enfants, que les fonds manquent pour payer une “nounou”. Elle décrit l’exploitation de ces masses d’anonymes qui doivent subir ce qu’on leur impose car elles ne disposent pas de droits, “n’existant” pas pour certains. C’est déjà difficile de lutter contre une administration aveugle quand on dispose d’une identité, d’un statut social, de ses droits (ayant rempli ses devoirs). Alors quand tout manque…
Sandrine Collette montre alors les tentations, pour s’en sortir, d’aller vers des solutions délictueuses, vers le banditisme, vers la prostitution avec tous les risques et tous les travers que cela impose. Sandrine Collette sait tout décrire, sait tout écrire, faire partager comme personne les sentiments de ses personnages, en faire des individus que l’on ne peut s’empêcher d’aimer.
Avec Les Larmes noires sur la terre, l’auteure signe un roman particulièrement émouvant, poignant, d’une grande intensité tant en actions qu’en sentiments. Une réussite totale !
serge perraud
Sandrine Collette, Les Larmes noires sur la terre, Denoël, coll. “Sueurs Froides”, Février 2017, 336 p. – 19,90 €.