Nicolas Arispe, Le Livre

Et Dieu dit : que l’obscurité soit !

La pro­po­si­tion peut sur­prendre d’emblée, sur­tout si l’on s’arête, per­plexe, sur l’énigmatique cou­ver­ture de ce mixte entre bande des­si­née et beau livre : l’Argentin Nico­las Arispe, comme il s’en explique dans sa post­face, a voulu s’inspirer de l’éducation qu’il a reçue dans une école reli­gieuse pour pro­po­ser sept his­toires sym­bo­liques qui revi­sitent rien moins que la Bible ! Et voici com­ment la créa­tion du monde par Dieu, le sacri­fice d’Abraham, la venue de l’Ange ven­geur, les doutes de Job, les lamen­ta­tions de Jéré­mie, la pro­phé­tie d’Ezéchiel et la puni­tion de Jonas per­mettent à tout lec­teur, qu’il soit reli­gieux ou non, d’avoir accès à sept livres de l’Ancien Tes­ta­ment – mais par le biais  d’un sombre roman, aussi gra­phique que solen­nel, nous confron­tant de manière au moins ori­gi­nale  avec des ani­maux anthro­po­morphes.
Si le 1er récit nous montre un Dieu-forgeron au sein d’une Genèse quasi nucléaire, qui se lance dans un  tra­vail indus­triel ou techno-scientifique pour (re-)créer le Monde,  les 6 autres séquences – corol­laire d’une apo­ca­lypse récente ? – méta­mor­phosent les héros bibliques en ani­maux : Abra­ham sous la forme d’un ours blanc sur une ban­quise, l’Archange Michel en cro­co­dile, Job en iguane, Ezé­chiel en mino­taure et Jonas en renard – manière tra­gique de signa­ler que les êtres humains ont désor­mais perdu, par faute d’orgueil exa­cerbé et d’une liberté en défi­ni­tive liber­ti­cide,   toute res­sem­blance ori­gi­naire avec Dieu.

Inspi­rés de Bosch, Grü­ne­wald ou encore Grand­ville, ces ani­maux semblent comme por­ter sur leurs épaules le poids du péché et de la res­pon­sa­bi­lité des Hommes ayant en quelque sorte aban­donné le navire : entre Bateau ivre et Nef des fous, cette huma­nité « embar­quée » comme le disait Pas­cal a perdu le nord  et a laissé place au nihi­lisme, ce puis­sant acide qui ronge toutes les anciennes valeurs. De fines hachures noires strient et grisent ainsi toutes les enca­drés  blancs, occu­pant par­fois une page entière qui fait alors office de sépa­ra­teur. Sur fond d’un dia­logue impos­sible entre le Créa­teur et sa créa­ture, un magni­fique tra­vail tout en contrastes, sans phy­lac­tères et avec un décou­page des cases varié,  de géo­mé­trisme, de sym­bo­lisme  et de mise en pers­pec­tive qui appelle autant à l’interrogation méta­phy­sique qu’à l’inquiétude mélan­co­lique.
Certes, le parti-pris d’Arispe  cher­chant à tra­vers ces vignettes old school zoo­morphes à spi­ri­tua­li­ser cet éton­nant et épique bes­tiaire  déroute : Ezé­chiel devient un mélange de Mino­taure et d’homme d’affaires, le sacri­fice d’Abraham est déplacé dans une com­mu­nauté d’ours blancs au pôle Nord, autour de l’épave d’un cha­lu­tier pri­son­nier des glaces, Jonas appa­raît comme un loup à bord d’un navire de la Renais­sance… Mais ces bêtes-là, pois­sons ou autres sque­lettes,  ne sont pas plus capables que leur réfé­rent humain trop humain angoissé d’échapper à la tutelle trans­cen­dante du divin.

La ten­ta­tive archéo­lo­gique, au sens propre du terme, d’Arispe ne per­met pas, pas encore, mal­gré le déca­lage spatio-temporel assumé, de remettre au jour les ves­tiges mythiques de notre civi­li­sa­tion et de notre moder­nité éga­rées. Il est vrai que nul n’est pro­phète dans son pays.
A cha­cun donc, après Le Livre, de reprendre à ses frais la ques­tion de la foi et du des­tin de l’humanité.

lire la post­face

lec­ture musi­cale du livre

fre­de­ric grolleau

Nico­las Arispe, Le Livre , Édi­tions du Tri­pode, 11 mai 2017, 80 p. — 16, 00 €.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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