Frances Hardinge, L’île aux mensonges

Mystère dans l’Angleterre victorienne

« Faith décou­vrait qu’un men­songe était comme le feu. Au début, il avait besoin d’être entre­tenu et ali­menté, mais en dou­ceur, avec cir­cons­pec­tion. Un souffle léger atti­se­rait les flammes nais­santes, mais trop d’air les étein­drait. Cer­tains men­songes pre­naient si bien qu’ils se répan­daient avec un cré­pi­te­ment allègre, sans qu’il fût besoin de les ali­men­ter davan­tage. Mais du coup, ils ne vous appar­te­naient plus. Ils vivaient leur propre vie et échap­paient à votre contrôle… » Nul besoin de s’appeler Pinoc­chio pour être trahi un jour par ses propres men­songes. Cer­tains peuvent avoir de lourdes consé­quences au quo­ti­dien, qu’arriverait-il si un arbre s’en nour­ris­sait pour ensuite les rendre plus dan­ge­reux encore ? C’est un des pos­tu­lats de départ du livre de l’auteure Bri­tan­nique Frances Hardinge.

La famille de son héroïne Faith est contrainte de fuir Londres, suite à un scan­dale dont elle appren­dra plus tard tous les tenants et abou­tis­sants. Nous sommes en 1860, et le monde scien­ti­fique est en pleine ébul­li­tion. Eras­mus Sun­derly, le père de Faith, est un révé­rend et émi­nent natu­ra­liste. En s’installant sur la petite île de Vale, il espère pour­suivre ses recherches sur l’évolution des espèces, loin des rumeurs de la haute société. Mais, même sur une petite île, tout finit par se savoir, et on va bien­tôt retrou­ver son corps, lais­sant sa famille dans le plus grand désar­roi. Sui­cide, comme tout le monde veut le faire croire, ou assas­si­nat ?
C’est la der­nière hypo­thèse que pri­vi­lé­gie Faith, qui du haut de ses qua­torze ans, compte ne pas céder aux conven­tions rigides du monde auquel elle ne veut pas appar­te­nir. Au mépris de tous les dan­gers, Faith va dis­crè­te­ment mener son enquête, et décou­vrir une plante bien étrange : un arbre qui se nour­rit de men­songes pour faire appa­raître des véri­tés. Faith va trou­ver dans cet arbre un véri­table allié, qui risque de dévoi­ler la plus hor­rible des Vérités.

L’île aux men­songes joue dès le départ sur plu­sieurs genres : thril­ler vic­to­rien, conte fan­tas­tique, roman d’apprentissage… Un mélange qui pour­rait ne pas prendre du tout, mais Frances Har­dinge réus­sit avec ce roman à uti­li­ser dif­fé­rents codes de ces genres pour nous livrer une his­toire noire, mais brillante. Une his­toire tra­gique au sus­pense hale­tant, où une jeune fille va défi­ni­ti­ve­ment quit­ter l’enfance pour faire face au monde cor­rompu et plein de secrets des adultes. En décou­vrant cet arbre hors du com­mun, son regard sur le monde est trans­formé, ses parents qu’elle véné­rait lui livrent un nou­veau visage. La science, qu’elle croit être une alliée, ne l’aide pra­ti­que­ment pas. Les véri­tés qu’elle recherche vont la trans­for­mer à jamais.
L’auteure, dans la lignée des sœurs Brontë ou d’autres maîtres du clas­sique roman­tique, pro­pose aussi sa ver­sion de l’émancipation de la femme. Une jeune femme, qui devrait se taire, subir son des­tin, et qui grâce à son intel­li­gence, son carac­tère pas­sionné va se battre pour trou­ver une autre place que celle d’une femme sou­mise dans une société en plein chan­ge­ment. Faith doit bra­ver les bien­séances, remettre en cause sa foi, dou­ter de la loyauté qu’elle devrait à sa famille.

L’auteure est éga­le­ment très bien docu­men­tée sur le contexte his­to­rique et scien­ti­fique de l’époque, et y insère du fan­tas­tique et de la magie avec une cré­di­bi­lité incroyable. Ce n’est pas pour rien qu’elle a obtenu, à la suite de Phi­lip Pull­man et sa saga A la croi­sée des mondes le Prix Costa 2015. Elle voit son sep­tième roman tra­duit en fran­çais avec une grande qua­lité.
Il ne fait pas de doute qu’elle trou­vera très vite un écho large et un plus grand public que celui des jeunes adultes. Sa grande ima­gi­na­tion, et sa plume de qua­lité vont vous trans­por­ter au milieu des feuilles d’un arbre hors du com­mun. Prêt à esca­la­der ses branches ?

franck bous­sard

Frances Har­dinge, L’île aux men­songes, Gal­li­mard Jeu­nesse, 2017, 400 p — 18.50 €.

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