Précis de résistance générale
Pour Anne-Claire Hello le constat est clair : « La matière que mon cerveau engrange et la production écrite ne me suffisent pas». D’où son besoin de s’exprimer par les éclaboussures de performances sans d’autres outils que la parole et le corps qui la scande en secousses, saccades impressionnantes et qui articule les enjambements et coupures des poèmes. Chaque exercice oratoire devient générateur d’une dévoration orgasmique du capitalisme qui pourrait rappeler un Maïakovski qui, dans le cas de l’auteure, ne serait plus mangé par l égo et dont le charisme face à la foule devint une arme et la suprême farce.
Anne-Claire Hello refuse les compromis « politiques ». Elle réforme la forme-conférence en une revendication sociale. Il s’agit alors de « Détraquer en entier cette feuille de papier que j’ai entre les mains, quitte à bégayer ». L’œuvre devient une histoire de sons fondamentaux sortis du plus profond de l’être selon une forme plus proche d’Artaud que du poète bolchévique. Le souffle est là plus que la pompe lyrique oratoire. Et il est rare qu’une poésie puisse s’écouter comme ce lire à ce point.
Toute une poétique de l’excès jaillit. Elle fait entendre le cri du féminin. Et l’auteure de précise : « en pays d’occupant dont j’entends les coups sourds et répétés, je cherche un toit dans cette embuscade de mots bornés, qui qualifient de liberté ce que j’appelle des cendres et des os ». Contre les bouchers du cru et les cuistots des tartes littéraires, l’artiste cultive son désordre rhétorique. Il devient acte de résistance générale par tout ce qui jaillit du dedans afin de reprendre l’histoire en crachant les poumons face à ceux qui sont fascinés par les poitrines. La poésie électrifie le monde et en fait sauter les plombs par ce qui jaillit de la bouche volcanique.
“Dégueulant la mer d’étoiles Bleues”, le râble se rebiffe. Il n’a rien de rachitique : “postillonnant des radicules de rage”, le “Je” crie face aux Jésus-Christ. Le verbe se ranime selon une a-métrique. Les “Humains épars, pliés”, l’artiste et poétesse les condense, les ramasse afin qu’ils n’écoutent plus la voix des sirènes politiques qui ahanent mais celle de la si reine sans royaume et en langue vivante. Dans un halètement aussi vocal que poétique, l’auteure se situe entre Artaud et Valère Novarina selon une ouverture particulière.
Les concepts de postmodernité ou d’avant-gardisme ne feraient que minimiser une voix poétique inédite. Elle ne cesse d’envoyer des coups en « pays d’occupants » fait par les hommes et pour eux dans leur « embuscade de mots bornés ». Se préoccupant peu (en apparence) du raffinage Anne-Claire Hello peaufine pourtant sa rhétorique contre les spectres des ombres qui scellent les lois du monde.
Loin des chansons bien douces, la voix braque le logos admis des barjots et charançons bons pour Charenton plus que pour les Elysées des illusions et ses fédérations d’ignorants.
jean-paul gavard-perret
Anne-Claire Hello, Naissance de la gueule & Paradis remis à neuf, Editions fissiles, 2017.