Fernando Vallejo, Carlitos qui êtes aux cieux

Fernando — enten­dez Val­lejo — nous invite à visi­ter Táme­sis, un vil­lage sis dans les mon­tagnes d’Antioquia, quelque part en Colombie

Dans les mon­tagnes d’Antioquia, quelque part en Colom­bie, un petit vil­lage, Táme­sis. Fer­nando — enten­dez Val­lejo — nous invite lit­té­ra­le­ment à visi­ter sa région et son vil­lage natal : 
Allez-y voir et vous ver­rez. Je vous invite. 
Táme­sis, vil­lage pauvre parmi d’autres, va connaître trois ans de gloire avec l’élection au poste de maire de Car­los 1er de Táme­sis, le plus noble et le plus com­pé­tent et le plus géné­reux de tous les maires du vil­lage et frère de Fernando.

On se croi­rait dans une de ces bio­gra­phies édul­co­rées et rema­niées d’un per­son­nage poli­tique quel­conque. Sauf que nous sommes en Amé­rique latine, en Colom­bie et que le “bio­graphe” ou “chro­ni­queur” ou quel que soit le nom que l’on donne aux écri­vains qui rap­portent les évé­ne­ments d’un man­dat de trois ans, est l’auteur de La Vierge des tueurs (1997, Bel­fond), ter­rible his­toire d’amour sur fond d’assassinat dans Medellín la cruelle.

Ici, les proches col­la­bo­ra­teurs du parti sor­tant sont deux “folles” hys­té­riques voire dan­ge­reuses, affa­mées d’adolescents tout juste pubères, madame la maire est un homme, le dis­cret et sage Mémo, le prin­ci­pal repré­sen­tant de l’opposition est le nègre Ali­rio, deux femmes, des enfants à n’en plus finir, avide et inculte, et l’ensemble des citoyens est un ramas­sis de pay­sans à la main constam­ment ten­due, à l’image de la Colom­bie, ingrats, mau­vais et réfrac­taires par prin­cipe. Tout cela dans un pays enva­hit par les sicaires du gou­ver­ne­ment, où les sou­bre­sauts rava­geurs et contra­dic­toires de la nature n’ont d’égaux que ceux de la cor­rup­tion. Car­los, au par­cours uni­ver­si­taire irré­pro­chable, aux ambi­tions tel­le­ment géné­reuses qu’elles en deviennent déli­rantes avec son Méga­pro­jet inté­gré du Bas­sin de Río Frío et du plus grand Dis­trict d’Irrigation du centre de la Colom­bie et son parc d’attractions dans le cime­tière afin de dédra­ma­ti­ser la mort aux yeux des enfants est un vision­naire dans un vil­lage (un pays) à la vue courte : lorsqu’il sou­haite illu­mi­ner tous les vil­lages de Colom­bie, ses élec­teurs, eux, ne rêvent que de se rem­plir la panse à peu de frais.

Voilà la contra­dic­tion de l’Amérique latine : un uni­vers magique, gran­diose, capable de don­ner nais­sance à de grands hommes, presque des demi-dieux, infecté dans son essence même par la cor­rup­tion et la pour­ri­ture dont l’unique but est de ron­ger les talons de ces héros jusqu’à les englou­tir. Ce n’est plus le réel-merveilleux d’antan où le quo­ti­dien est dou­blé, enri­chit par la mer­veille, mais la beauté dévas­tée par cette salo­pe­rie de réa­lité, basse, mes­quine, égoïste, illet­trée, san­glante. Obser­vez cette envo­lée de petits per­ro­quets verts man­geurs de banane et de cho­co­lat, vague éme­raude cha­toyante sau­tant de mont en mont ; écou­tez main­te­nant leur doux pépie­ment : 
Tiro­fijo fils de pute ! hua, hua, hua, hua, hua, huaaaaa… 

Voyez la Cas­cade, la magni­fique pro­priété fami­liale qui doit son nom à la cas­cade jaillis­sant de la pierre tel un miracle. Elle a été réduite en ruine par les ban­quets suc­ces­sifs offerts par Carlo à ses élec­teurs poten­tiels afin de se ral­lier des voix, en vain. De la confi­ture jetée aux porcs. De la cas­cade ne reste qu’un amas de pierres et un filet d’eau. Ne demeure de sa beauté que les sou­ve­nirs amers d’un vieillard exilé : pour lui, étour­dis­sant boni­men­teur, sa mai­son, son vil­lage, son pays ne sont plus que splen­deurs rava­gées à vendre à vil prix au plus aveugle, ou au plus imaginatif.

NB - À décou­vrir : La Ram­bla para­lela, autre roman ver­ti­gi­neux de Fern­nado Vallejo.

s. pla­coly

   
 

Fer­nando Val­lejo, Car­li­tos qui êtes aux cieux (tra­duit de l’espagnol — Colom­bie — par Jean-Marie Saint-Lu), Bel­fond, sep­tembre 2007, 159 p. — 18,00 €.

 
     

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